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Blog juridique Marocain
6 novembre 2010

Le métier de l'avocat au Maroc

avocat_usa_immigration_2009
Par M. Khalid Khalès avocat au Barreau de Rabat

1- Le rôle de l'avocat

Si en principe les hommes naissent libres et égaux en droits, et s’ils ont décidé de vivre dans une société organisée, les aléas de la vie créent des déséquilibres et même des inégalités. Le premier rôle de l’avocat est d’être le porte parole de celui ou celle dont les droits sont menacés.

Par ailleurs, toute personne poursuivie devant les juridictions répressives a le droit de se défendre et aussi le droit et même le devoir d’être assistée par un avocat. Lorsque la société décide de la poursuivre pour un crime ou pour un délit, il est un principe universellement admis que toute personne est innocente jusqu’à ce qu’elle soit déclarée coupable et que toute personne a un droit naturel de se faire assister et de se faire défendre par le biais d’un technicien indépendant, l’avocat. Il en va de même de la partie civile, victime de l’acte incriminé.

C’est l’idée étroite que se fait le commun des mortels du rôle de l’avocat : défenseur plaideur devant les tribunaux répressifs ou « avocat pénaliste ». C’est l’effet « spectaculaire de la profession ». Or, la réalité de nos jours est toute autre et le champ d’intervention de l’avocat est beaucoup plus vaste. En effet, « il n’est pas un événement politique, économique, social, littéraire, scientifique, technique et même religieux qui n’ait un jugement d’échos dans les prétoires »(André Ginesse, «Seule la vérité blesse » ).

Par ailleurs, les activités économiques, quelle que soit leur nature, sont désormais régies par une multitude de textes, très souvent épars, généralement peu connus – c’est normal – des entrepreneurs.

D’autre part, la libéralisation de l’initiative entrepreneuriale, outre une concurrence sévère, n’obéissant parfois pas aux règles de l’éthique, introduit des difficultés relationnelles pouvant avoir de sérieuses conséquences sur la vie de toute entreprise

De même, les développements de la législation sociale, fiscale, commerciale, bancaire, financière ou autres, les arrêts jurisprudentiels en chaque matière et autres faits juridiques provoquent des interprétations divergentes, parfois préjudiciables au développement harmonieux de l’activité.

Pires sont les problèmes de la compétence ( territoriale ou en raison de la matière ), de la prescription des droits ou des délais de recours ( qui varient en fonction de chaque cas d’espèce ) et dont la négligence fait perdre aux justiciables des droits certains.

A travers ces quelques exemples, on peut déjà pressentir l’extrême complexité de ce qu’aucuns qualifient de « maquis juridique »

Certes, toutes les personnes et toutes les entreprises ne sont pas forcément confrontées à ce « maquis » ; il est même manifeste que le droit est vécu par l’immense majorité des individus et des entreprises sans litige et donc sans procès. En effet, dans la majorité des cas, les relations se nouent et se dénouent à l’amiable. Cependant, le caractère incontournablement économique de la matière juridique ( toute décision économique et sociale comporte un aspect juridique ), fait que nul n’est à l’abri d’un litige, source de perte de temps et de déperdition d’énergies.

Contre une telle éventualité, le management moderne retient le recours à un conseil spécialisé : l’avocat. Longtemps considéré par les entreprises comme un mal nécessaire ( qu’il fallait consulter le moins possible ), plutôt que comme un bien, l’avocat-conseil est devenu de nos jours l’assistant quasi-indispensable de la majorité des entreprises des pays développés. Les Etats Unis, le Japon et les pays de la communauté européenne, ont tous compris la nécessité de l’intégration de la profession d’avocat dans leurs stratégies économique et commerciale.

En effet, face aux mutations économiques, technologiques et sociales auxquelles toute personne physique ou morale est quotidiennement confrontée ; face aux défis personnels ou professionnels que cette personne souhaite relever, l’avocat est pratiquement le seul partenaire juridique valable pouvant offrir les garanties indispensables de confidentialité, de compétence, d’indépendance et de responsabilité.

L’avocat n’est plus un luxe, mais une nécessité. Il est l’outil juridique indispensable dont une entreprise bien structurée ne peut se passer de nos jours. Si le droit est aujourd’hui de plus en plus au cœur de la stratégie de l’entreprise, l’avocat est la dynamo de ce droit.

En effet, chaque jour apporte aux particuliers et aux entreprises son lot de textes législatifs ou réglementaires , son lot de circulaires administratives ou d’arrêts jurisprudentiels. En dehors d’un spécialiste du droit, la lecture et l’interprétation de ces textes ainsi que de cette jurisprudence sont souvent très difficiles pour un non spécialiste.

L’avocat est là pour informer son client des lois applicables à chaque cas d’espèce et sans doute est le seul à pouvoir naviguer dans ce labyrinthe de textes qui remonte à 1912. L’avocat, qui suit quotidiennement l’évolution des textes ( promulgation, modification, abrogation, etc…) et de la jurisprudence ( avec ses revirements ), est à même d’informer l’entreprise sur la loi applicable et la tendance jurisprudentielle. L’avocat informe ses clients non seulement sur leurs droits mais aussi sur leurs devoirs.

A côté de l’information qu’il peut apporter à l’entreprise ou au particulier, l’avocat a un second rôle qui consiste à conseiller. Il joue dans ce cas le rôle des avocat-conseil. Pour ce faire, il étudie comment mettre en œuvre un projet dans le strict respect de la loi et dans tous les domaines du droit ( droit des affaires, droit fiscal , des transports, de l’urbanisme, de l’environnement, des banques, du travail, etc…). Par ailleurs, le rôle de l’avocat-conseil consiste avant tout à éviter les procédures et à intervenir préventivement. Le conseil peut être oral ou écrit. On parle alors de consultation. Ce rôle de conseil juridique et fiscal est lié aux défis économiques et à la connaissance du risque contentieux. Pour pouvoir exceller dans ce rôle de consultant, tous les diplômes ne peuvent pallier le « sens juridique » si celui-ci fait défaut à l’avocat. En effet, si chaque personne a normalement cinq sens, l’avocat, lui doit avoir un sixième. C’est le « sixième sens juridique ».

Il peut en outre assister l’entreprise dans la conclusion d’un accord et essayer de trouver une solution négociée évitant le risque d’un conflit et l’enlisement de l’entreprise dans un litige, source de procès, de perte de temps et d’argent.

A côté de son rôle qui consiste à informer, conseiller, assister, l’avocat procède à la rédaction de tous actes et de tous contrats conformément à la réglementation en vigueur et aux intérêts de son client. Les actes que peut rédiger un avocat sont innombrables : statuts de société, d’association, contrat de bail commercial, professionnel, rural… ; contrat de travail, de vente, de prestation de services, de prêts ; contrat de licence ; de cession de fonds de commerce, de gérance-libre, de nantissement ; de vente d’actions ou de parts sociales, etc… L’avocat averti, en rédigeant lui-même un contrat ou tout autre acte, pense non seulement à l’intérêt des clients mais aussi aux moyens de défense que peut opposer une partie à l’autre en cas de litige. Généralement, un contrat ou un acte rédigé par un avocat spécialisé est net, clair et précis et englobe tous les points qui peuvent éventuellement prêter à confusion et même à contestation. Même un notaire se doit de consulter un avocat avant l’établissement de certains actes.

L’avocat peut en outre représenter une partie dans la conclusion d’un contrat, à la condition d’avoir reçu procuration spéciale.

Par ailleurs, si le sixième rôle de l’avocat est la défense du client, défendeur ou demandeur, devant les juridictions du royaume, qu’elles soient civiles, commerciales, administratives, pénales, disciplinaires, etc…, et s’il peut aussi assurer cette défense devant les juridictions des pays étrangers ayant conclu une convention judiciaire avec le Maroc, un rôle tout aussi important incombe à l’avocat et que je nommerai ici le rôle de « l’espoir ». En effet, la personne qui s’adresse à un avocat ne le fait généralement pas « de gaieté de cœur » mais en désespoir de cause et parce que toutes les portes ont étés fermées devant elle et qu’elle se sent perdue. Si l’avocat reçoit ce client perdu, abattu et parfois même hagard, son rôle est de le calmer et de lui insuffler l’espoir. L’avocat assume le rôle du psychologue. Que de justiciables n’avons-nous pas vu démoralisés en entrant dans le Cabinet d’un avocat et en ressortir confiants et souriants. Pour bien réussir ce rôle, l’avocat doit cultiver ce que l’on appelle « l’art de l’écoute ». Cet art ne s’apprend pas sur les bancs des facultés de droit, ni ailleurs. C’est un don que l’on peut développer au fil des années de pratique.

Autre rôle de l’avocat et pas des moindres est celui « d’amortisseur de chocs » en cas de décision judiciaire qui va à l’encontre de ce qu’attend le client. Cela émane de son devoir de délicatesse. En effet, l’avocat doit faire preuve de délicatesse au moment du compte rendu de la décision prononcée. Très souvent, on ignore le grand rôle de l’avocat lors de cette phase. Or sans avocats délicats, compatissants avec leurs clients et leur donnant un nouvel espoir en leur proposant de porter le litige devant une juridiction d’un degré supérieur, combien de juges n’auraient-ils pas été malmenés et même agressés ?…

N’oublions pas de signaler ici le rôle traditionnel et avant-gardiste de l’avocat dans la défense non seulement de son client mais aussi et surtout dans le combat qu’il mène pour veiller à la bonne marche de la justice. Un arrêt de la Cour de Cassation égyptienne en date du 16 avril 1970 a bien précisé que « le but du législateur dans la consécration du ministère de l’avocat est en même temps la protection de l’utilité publique et la réalisation de l’utilité privée ». La doctrine française considère que l’avocat constitue à lui seul un service public…( sur le rôle traditionnel de l’avocat et qu’il continue à assurer avec brio, voir les différentes études dans Al Mouhamat, n° 27, 1987 et dans les différentes revues spécialisées des Barreaux ). Mais ce côté de la mission de l’avocat a été tellement développé par d’autres confrères qu’il serait vain de le répéter.

Par ailleurs, l’avocat pourra jouer le rôle d’arbitre, que ce soit au sein d’une institution spécialisée ou simplement parce que deux parties ont fait appel à son arbitrage. S’il a rendu sa sentence arbitrale, il va de soit qu’il ne peut se constituer pour défendre l’une ou l’autre des parties en cas de contentieux.

A côté de « l’avocat pénal » et de « l’avocat d’affaires », etc…, nous aimerions souligner ici le rôle de « l’avocat politique », qui mène quotidiennement des combats, à l’intérieur et à l’extérieur des prétoires pour la défense des droits humains en général et pour l’instauration effective de la séparation des pouvoirs au sein d’une société qui se caractérise par son manque de démocratie, sa politique répressive et par la confusion de ses différents pouvoirs, politique, législatif et judiciaire. Cet avocat est partout présent : au sein des partis politiques, au sein du Parlement, des collectivités locales, des associations pour la défense des droits humains et dans diverses autres organisations non gouvernementales. Son rôle est de dénoncer les abus du pouvoir répressif et non démocratique.

Certes la spécialisation n’est pas encore entrée dans les mœurs des avocats marocains, et, devant le vide législatif, rien n’interdit en effet à un avocat de s’intéresser et d’exercer dans les différents domaines : politique, pénal, du conseil, des affaires, etc…

Notons que le nombre des juridictions, que ce soit au Maroc ou dans les pays ayant conclu une convention judiciaire avec lui, étant considérable, le problème qui se pose en premier lieu à l’avocat est celui de la compétence de chaque juridiction. Laquelle choisir et comment combiner la compétence ayant trait à l’attribution avec celle ayant trait à la territorialité ?

Se posera ensuite à l’avocat le dilemme des procédures judiciaires ou extra-judiciaires qu’il serait conduit à suivre. Généralement, c’est l’avocat qui comprend le sens d’un constat, d’une sommation interpellatrice, d’une injonction de payer, d’une expertise, d’une saisie conservatoire, d’une saisie-arrêt, d’une saisie descriptive, d’un commandement immobilier, d’une vente globale de fonds de commerce, d’une action possessoire, d’une action pétitoire, d’un appel incident et je n’ai cité que les plus simples sans entrer dans les minorités de blocage, de l’action en nullité ou en dissolution d’une société, du redressement judiciaire, de la faillite, de la responsabilité pénale des personnes morales ou autres.

L’avocat examinera non seulement les problèmes que posent les différentes prescriptions des droits ( qui se comptent par centaines ) mais aussi celles ayant trait aux voies et délais de recours. Si certains ( et qui sont extrêmement nombreux et variables ) commencent à courir à partir de la notification de la décision, d’autres en revanche le sont à partir du prononcé du jugement. Il y a des délais de 8 jours, de 10, de 15,… de 30 pour ne citer que ceux-là. Le non respect de ces délais rend le justiciable forclos de ses droits.

Seul un avocat peut « nager » dans ces méandres obscurs. Mais pour pouvoir le faire, l’avocat a besoin de disposer d’une infrastructure performante : bureaux, bibliothèques, photocopieuses, salle de réunion , archivages , ordinateurs, imprimantes, scaners, modems, internet, sémaphones, centrale téléphonique, téléphones mobiles, fax, voitures. Il a aussi besoin d’être tenu informé des dernières nouveautés en matière juridique : abonnement au Bulletin officiel, aux revues spécialisées, abonnement d’accès aux différentes banques de données juridiques existantes dans le pays ( Arthemis conseil, Masnaoui Mazars, etc…) ou étrangères ( Justel, Credoc, Judit, etc.. ), création d’une banque de données propre au cabinet ; achat d’ouvrages multiples, etc…

Bien avant de pouvoir s’installer, un avocat qui veut s’inscrire au stage du barreau de Rabat doit payer au jour de la rédaction de cet article au Conseil de l’Ordre des avocats la somme de 35.000,00 dirhams s’il vient directement de l’université et 70.000,00 dirhams s’il a déjà travaillé dans le secteur privé ou public. Le Conseil de l’Ordre apprécie souverainement le montant des droits d’inscription du candidat. Le juge n’a aucun droit de contrôle sur les tarifs que fixe le conseil de l’ordre ( Cour d’appel de Rabat, 24/1/2001, G.T.M n°88, p.155 ).
L’avocat au Maroc est un Bac+8* minimum détaillé comme suit : licence en droit : 4 ans* ( art.5, al.3, dahir du 10/9/1993 ) + Certificat d’Aptitude ( même art. al.4 ) à l’exercice de la Profession d’Avocat + au moins une année dans un Centre Régional de Formation ( centre prévu par le même dahir, art.6, mais le décret d’application n’a pas vu le jour en fait depuis presque 10 ans – c’est ce centre qui devait en principe délivrer le C.A.P.A ) + 3 années de stage dans le Cabinet d’un Avocat inscrit au Tableau.

L’avocat agréé auprès de la Cour Suprême est un Bac+18 minimum puisque pour y être agréé, le législateur exige l’exercice effectif de la profession pendant 10 années (période de stage non incluse-art.34 dahir de 1993).

Une fois titulaire et installé, de préférence dans les conditions indiquées plus haut, un avocat est également confronté au paiement d’autres charges permanentes : loyers, eau et électricité, téléphone, fax, internet, fournitures de bureau ( papier imprimantes, papier photocopieuses, toner, cartouches, etc…

L’avocat est également tenu de payer des cotisations au Conseil de l’Ordre des Avocats ainsi que les services rendus par ce dernier, des vignettes, des timbres.. et j’en passe. A titre d’exemple, un dossier de taxation coûte 400 dirhams à l’Ordre des Avocats de Rabat.

D’autre part, plusieurs types d’assurances sont imposés à l’avocat. Outre les assurances des véhicules automobiles ( ou les vignettes de ces dernières), l’avocat doit s’assurer contre la responsabilité civile, contre les accidents de travail, contre l’incendie, contre l’inondation, contre le vol… ; la C.N.S.S est là aussi pour réclamer ses cotisations et rares sont les avocats qui payent des cotisations à la Caisse Nationale de Retraite faute de moyens.

Par ailleurs, l’avocat ne peut pas travailler seul devant le nombre impressionnant des juridictions de Rabat, par exemple, sans même parler des juridictions qui se trouvent dans les autres villes ou dans les pays autres que le Maroc. Il a besoin d’avoir des associés responsables, , des avocats collaborateurs, des avocats stagiaires, des secrétaires juridiques, des coursiers et des correspondants dans les autres villes.

S’il s’agit d’un Cabinet spécialisé, l’avocat a parfois recours à des personnes étrangères au Cabinet, tel des docteurs universitaires ou des spécialistes en fiscalité, pour faire des recherches sur un point précis de droit.
C’est dire que le cabinet d’avocat constitue à lui seul aujourd’hui une véritable entreprise qui, pour bien fonctionner, doit elle-même être bien structurée et composée de personnes qualifiées, à commencer par les avocats eux mêmes qui doivent constamment se recycler, en passant par les collaborateurs, les secrétaires juridiques, etc.

Tout ce beau monde et je n’ai cité que l’essentiel, a besoin d’être payé et bien payé pour mener à bien les taches que le cabinet d’avocat lui confie.

Tout ce beau monde se déplace à longueur de journée, que ce soit à l’intérieur de la ville où se trouve le Cabinet ou en dehors de celle-ci entre les différents tribunaux et Cours ou entre les différentes administrations.

Le seul cas de Rabat peut faire l’objet d’une étude à part qui démontrera non seulement l’improvisation et le manque de planification du Ministère de la Justice ( ne faudrait-il pas l’appeler « Ministère des Affaires Judiciaires » ?. L’appellation actuelle n’est-elle pas trop prétentieuse ? ) qui n’arrive pas encore, malgré les efforts accomplis depuis quelques années, à maîtriser ni la forme ni le fond de la chose du droit, mais aussi et surtout les efforts considérables accomplis quotidiennement par les avocats de Rabat.

En effet, les différentes juridictions sont éparpillées à travers les différents quartiers de la ville. La Cour suprême est par exemple à Hay Riad, le tribunal administratif est au quartier Souissi* ( rue Zerhoune ), le tribunal de première instance est au quartier de l’océan, la Cour d’appel est au centre ville, le tribunal militaire est au quartier de l’Agdal, la Cour Spéciale de Justice* est au quartier de la Tour Hassan, le Tribunal de Commerce* est à l’ex. place Piètri, la Cour d’appel de commerce à Casablanca, le tribunal du Chraa* ( avenue de la Victoire ), le Conseil Constitutionnel à Bab Laalou…( dix juridictions ). D’autres juridictions seront mises en place incessamment et notamment le Tribunal de la Famille. On parle aussi du « Tribunal Financier » et du « Tribunal Foncier ». Ne parlons pas des différentes administrations qui sont éparpillées un peu partout à travers la ville. Pour celui qui habite Rabat ou pour celui qui n’a qu’une carte de cette dernière, l’imagination de la fournaise des conditions dans lesquelles oeuvrent inlassablement les avocats est vite établie. A cause de cette dispersion des juridictions et des conditions médiocres dans lesquelles il travaille, l’avocat est devenu un homme « mangé », dispersé, « atomisé » n’ayant ni le temps de préparer correctement ses dossiers, ni celui de recevoir ses clients et de les renseigner sur l’évolution de leurs dossiers.

N’était-il pas possible que ce même Ministère pense à l’édification d’un véritable Grand Palais de Justice, avec des aires de parking, pour regrouper toutes ces juridictions qui auraient gardé leurs spécificités propres et leurs compétences, facilitant ainsi et aux justiciables et à leur défenseurs l’accès à la justice. Cette dispersion des locaux n’est-elle pas préjudiciable au budget de l’Etat lui-même ?

Au rythme où évoluent les juridictions, l’avocat d’aujourd’hui doit s’organiser de telle sorte qu’il puisse garder sa noblesse, sa grandeur et son idéal. Seule la spécialisation et la société d’avocats pourra le faire sortir de cette fournaise. Certains confrères ont essayé la formule de l’association ( art.25 ), mais l’esprit de société n’étant pas encore bien ancré chez nous, leur association s’est transformée après quelques années ( parfois quelques mois ) en une simple cohabitation pour finir par une séparation pure et simple. Les avocats sont-ils conscients des dangers qui les guettent avec cette mondialisation qui nous a été imposée et ces cabinets d’avocats étrangers qui commencent à s’implanter au Maroc ? ( un à Casablanca et un autre ayant formulé déjà la demande sur Rabat ). Je ne peux que tirer la sonnette d’alarme sur les menaces qu’implique une telle implantation pour le devenir de l’avocat classique, l’avocat traditionnel qu’est l’avocat marocain. Nonobstant la différence dans les moyens mis en œuvre par ces nouvelles sociétés, qu’on ne peut comparer aux moyens dérisoires des cabinets des avocats marocains, ni leur intégration et leur maîtrise du milieu des affaires, de nombreux problèmes se poseront dans le futur. Le premier en fait est qu’il s’agit là de succursales multiples dont le siège social se trouve à mille lieux d’ici et par conséquent échappent à tout contrôle. Le deuxième danger et non des moindres est l’alimentation de ces sociétés par des capitaux extérieurs à la profession d’avocat. Les détenteurs de ces capitaux pourront se servir des avocats pour attirer une clientèle dont ils conserveront le monopole. Le troisième danger viendra du non équilibre entre les cabinets classiques et ces nouvelles sociétés multinationales qui engendrera une mainmise sur le cabinet de l’avocat traditionnel auquel ne restera d’autre choix que le salariat. Mais encore faut-il qu’il remplisse les conditions qui seront posées par les capitaux extérieurs.

Après avoir vendu son eau, son électricité, son téléphone… et même ses ordures, viendra un jour où le marocain verra la vente des cabinets de ses avocats ( plutôt leurs fermetures ) et n’ayons pas peur des mots, la vente de l’indépendance de ces avocats.

Les différents Barreaux du Maroc et à leur tête leur Association doivent prendre ces dangers au sérieux et organiser des tables rondes, des séminaires, des congrès sur cette question, au lieu de perdre un temps fou dans des problèmes de politique politicienne ou dans des questions tribales et même raciales qui ne font que pousser une profession vers la dérive, si elle n’y est déjà. Un bâtonnier ou un membre du Conseil de l’Ordre des avocats ainsi que tout membre d’un Barreau doit oublier qu’il fait parti de tel ou tel parti politique telle ou telle tribu, telle ou telle race, la robe de l’avocat étant la même pour tous et telle doit être leur conduite et c’est leur Union qui perpétuera leur force et non le contraire. C’est à ces conditions et à elles seules que les avocats pourront travailler et cohabiter ensemble. Les personnes qui président aux destinées de cette profession doivent aussi penser à une refonte complète de la loi de 1993 et des lois internes de chaque barreau bien archaïques avant même leurs promulgations.

Dispersé, atomisé, mangé, et bientôt envahi, l’avocat aujourd’hui n’est pas au bout de ses peines. Je préfère passer sous silence les mentalités et le niveau encore trop bas d’une grande partie du monde judiciaire que doit « affronter » ( et le terme est encore faible ) l’avocat à longueur de journée ( départements confondus ) pour faire valoir les droits de son client. Au Maroc, l’avocat travaille dans des conditions draconiennes et sous pression. Certains juges, à qui on a inculqué à l’avance un certain préjugé sur l’avocat, ne lui facilitent pas la tâche non plus. Leur comportement vis à vis des jeunes avocats laissent beaucoup à désirer. Au lieu de leur tendre la main, de les guider, de les orienter, ces mêmes juges et heureusement qu’ils ne sont pas très nombreux, excellent dans le soupçon, dans l’agressivité et dans l’intimidation. Pourtant ce sont les avocats qui forgent un juge et non l’inverse. Le juge des juges d’Egypte Abdelaziz Fahmi l’a bien expliqué en disant que « Si tu mets en balance le travail du juge et de l’avocat, tu trouveras que le travail de l’avocat est plus précis et plus dangereux puisque la fonction du juge se limite à examiner les preuves tandis-que la fonction de l’avocat c’est la créativité,(…) et la formation » « . Un autre grand juge n’a-t-il pas dit lui aussi que « l’avocat naît avocat tandis-que le juge ce sont les jours qui le façonnent ! ». Plus, ces mêmes juges ne trouvent généralement refuge qu’auprès des avocats pour les défendre ou défendre les leurs, pour publier leurs recherches scientifiques dans les différentes revues des barreaux du Maroc et leur ouvrir grandes les portes de la profession lorsqu’ils décident de quitter le corps de la magistrature pour devenir avocats. Afin d’assurer un meilleur service judiciaire, les avocats et les magistrats doivent cohabiter dans un climat serein, responsable et emprunt de respect mutuel. L’absence de ce climat fait perdre aux uns et aux autres leur crédibilité devant le justiciable et porte atteinte et au corps des avocats et à celui des magistrats.

Par ailleurs, les déboires quotidiens de l’avocat avec certains services du greffe font que le plus endurci et le plus patient des citoyens aurait « déposé les armes » depuis le premier mois de leur fréquentation. Faire un tour au service du registre du commerce de Rabat donnera une idée de ce que vit l’avocat et l’exemple de ce service est transposable à presque tous les autres services du greffe dans les autres tribunaux ou cours. Le manque de moyens, le manque du personnel dans ces services et l’étroitesse des locaux rendent le travail du greffe et par conséquent de l’avocat des plus difficiles qui soient.

Enfin, n’oublions pas que le client en confiant son dossier à l’avocat se « décharge » sur ce dernier de son problème et c’est l’avocat « qui le vit » désormais avec toute la pression imaginable et inimaginable. Sa seule récompense est souvent morale : avoir gagné une procédure pour laquelle il a tant bataillé, tant attendu et tant espéré. Sa souffrance n’est pas descriptible lorsqu’un jugement vient débouter son client dans une affaire claire et qu’il a en plus bien ficelée et dans laquelle d’autres considérations que celles de l’équité ont joué.

On remarquera cependant que malgré son rôle primordial dans le juridique ou dans le judiciaire, l’avocat reste le mal-aimé de la justice et n’est pas pour autant le bien-aimé du justiciable. Cet état de fait mérite une étude particulière mais soulignons tout de même que la responsabilité d’une telle situation incombe non seulement à chaque avocat mais aussi et surtout aux différents conseils de l’ordre des avocats qui n’ont pratiquement rien entrepris pour vulgariser et la nécessité du droit dans la société et le rôle ou les rôles que joue l’avocat en tant que dynamo de ce droit. Sans droit, c’est la jungle et une personne qui a décidé de vivre seule dans une île n’a pas besoin de lois. Le droit ne se conçoit que dans un environnement social ( J.J. Rousseau ) composé de plusieurs personnes dont les intérêts sont contradictoires et la loi intervient pour réglementer leurs droits et leurs devoirs à commencer par leur vie familiale. Le but du droit c’est d’assurer la sécurité de l’individu et l’organisation de la société. Personne ne peut imaginer la ville de Casablanca ou de Rabat sans feux et sans panneaux de signalisation par exemple. C’est la loi de la circulation. Tel est le cas dans tous les autres domaines de la vie en société : politique, économique, sportif, familial, … que nous ne pouvons tous citer ici. Sans avocat, le droit restera statique, sans âme. Par conséquent la société tout entière ne peut se passer de ses avocats.

2- Les honoraires de l'avocat

 

Dans la première partie de notre étude, nous avons eu un aperçu succinct des difficultés du métier d’avocat et des différents rôles que joue ce dernier.

Nous rappelons que pour pouvoir bien exercer son métier, l’avocat a besoin de disposer d’un local décent et d’une infrastructure performante : bureaux, bibliothèques, photocopieuses, salle de réunion , archivages , ordinateurs, imprimantes, scaners, modems, internet, sémaphones, centrale téléphonique, téléphones mobiles, fax, voitures. Il a aussi besoin d’être tenu informé des dernières nouveautés en matière juridique : abonnement au Bulletin officiel, aux revues spécialisées, abonnement d’accès aux différentes banques de données juridiques existantes dans le pays ( Arthemis conseil, Masnaoui Mazars, prochainement « Juri-prême », etc.) ou étrangères ( Justel, Credoc, Judit, etc.. ), création d’une banque de données propre au cabinet ; achat d’ouvrages multiples, etc…Un minimum de 500.000,00 dirhams comme frais des immobilisations est indispensable s’il s’agit d’un loyer simple, de 1.500.000,00 dirhams environ, s’il s’agit d’une pleine propriété. Il faut également prévoir un fond de roulement d’au moins 100.000,00 dirhams.

Nous avons également souligné que bien avant de pouvoir s’installer, un avocat qui veut s’inscrire au stage du barreau de Rabat doit payer au jour de la rédaction de cet article au Conseil de l’Ordre des avocats la somme de 35.000,00 dirhams s’il vient directement de l’université et 70.000,00 dirhams s’il a déjà travaillé dans le secteur privé ou public. Le Conseil de l’Ordre apprécie souverainement le montant des droits d’inscription du candidat. Le juge n’a aucun droit de contrôle sur les tarifs que fixe le conseil de l’ordre ( Cour d’appel de Rabat, 24/1/2001, G.T.M n°88, p.155 ).

Une fois le stage terminé et afin de pouvoir être inscrit au Tableau, le candidat est invité encore une fois par le Conseil de l’ordre à payer des droits d’inscription qui dépassent les 8.000, dirhams.

Une fois inscrit au Tableau et une fois installé, de préférence dans les conditions indiquées plus haut, un avocat est également confronté au paiement d’autres charges permanentes : loyers, eau et électricité, téléphone, fax, internet, fournitures de bureau ( papier imprimantes, papier photocopieuses, toner, cartouches, etc).

L’avocat est également tenu de payer des cotisations au Conseil de l’Ordre des Avocats ainsi que les services rendus par ce dernier, des vignettes, des timbres.. et j’en passe. A titre d’exemple, un dossier de taxation coûte 400 dirhams à l’Ordre des Avocats de Rabat. Même une attestation de travail est payante…

D’autre part, plusieurs types d’assurances sont imposés à l’avocat. Outre les assurances des véhicules automobiles ( ou les vignettes de ces dernières), l’avocat doit s’assurer contre la responsabilité civile, contre les accidents de travail, contre l’incendie, contre l’inondation, contre le vol… La C.N.S.S est là aussi pour réclamer ses cotisations et rares sont les avocats qui payent des cotisations à la Caisse Nationale de Retraite faute de moyens.

Soulignons aussi que l’avocat paye, outre ces dépenses, la Taxe sur la Valeur Ajoutée ou T.V.A sur toute somme perçue. Là encore une remarque s’impose : Si les médecins ont défendu et obtenu l’exonération de cette même T.V.A devant le Parlement, les avocats n’ont rien entrepris dans ce sens. Le proverbe de chez nous ne se confirme-t-il pas : « boucher et il dîne avec les restes ! » ou plus exactement « avocats et ne sachant nullement se défendre ! ».

L’avocat paye également les frais de participation aux congrès ( nationaux et internationaux ), aux séminaires, les frais de transport et de séjour…

L’avocat paye aussi la taxe d’édilité arrêtée par la loi à 10% du montant du loyer.

Sur le chiffre d’affaires, l’avocat paye 6% au titre de la cotisation minimale et jusqu’à 44% au titre de l’Impôt Général sur le Revenu ou I.G.R.

Par ailleurs, l’avocat ne peut pas travailler seul devant le nombre impressionnant des juridictions de Rabat par exemple sans même parler des juridictions qui se trouvent dans les autres villes ou dans les pays autres que le Maroc. Il a besoin par conséquent d’avoir des associés responsables, des avocats collaborateurs, des avocats stagiaires, des secrétaires juridiques, des coursiers et des correspondants dans les autres villes.

S’il s’agit d’un Cabinet spécialisé, l’avocat a parfois recours à des personnes étrangères au Cabinet, tel des docteurs universitaires ou des spécialistes en fiscalité, pour faire des recherches sur un point précis de droit.
C’est dire que le cabinet d’avocat constitue à lui seul aujourd’hui une véritable entreprise qui pour bien fonctionner doit elle-même être bien structurée et composée de personnes qualifiées, à commencer par les avocats eux mêmes qui doivent se recycler à satiété, en passant par les collaborateurs, les secrétaires juridiques, etc…

Tout ce beau monde, et je n’ai cité que l’essentiel, a besoin d’être payé et bien payé pour mener à bien les tâches que le cabinet d’avocat lui confie.

Tout ce beau monde se déplace à longueur de journée, que ce soit à l’intérieur de la ville où se trouve le Cabinet ou en dehors de celle-ci entre les différents tribunaux et Cours ou entre les différentes administrations.

Par ailleurs, si le métier d’avocat reste des plus pénibles, il n’en demeure pas moins parmi les métiers les plus dangereux puisqu’il est à la tête des métiers dits de « confiance » ( le cabinet d’avocat manipule des fonds, des chèques, des effets de commerce, des reconnaissances de dettes, des documents ultra confidentiels, etc..) ; et en tant que tel, le personnel du cabinet d’avocat doit non seulement être trié sur le volet mais bien rémunéré.

C’est pour faire face à toutes ces contraintes et à toutes ces charges, que l’avocat doit ( c’est une obligation ) demander des honoraires justes et raisonnables. Mais là encore, la prestation de service n’étant pas encore bien ancrée dans les mentalités de chez nous, nombreux sont ceux qui prétendent que les coûts que représentent les services d’un avocat sont inabordables et rendent par conséquent difficile l’accès à la justice.

C’est du fatalisme pur et simple. Penser qu’un avocat coûte cher et par là abandonner et perdre ses droits est une grave erreur qui coûtera plus cher que de ne pas retenir les services d’un avocat. Si la personne considère que sa situation financière est vraiment précaire, il y a toujours la solution qui consiste à s’adresser à qui de droit pour obtenir « l’aide judiciaire » si elle est éligible.

En réalité plusieurs facteurs contribuent à la création de cette confusion et de cette suspicion.

Vient en premier lieu le libre jeu de la concurrence qui interdit la réglementation des honoraires par les Ordres d’Avocats et certaines dispositions légales qui ne sont plus de mise dans une phase où le Maroc s’est vu imposer l’entrée dans l’ère du G.A.T ou de l’Organisation Mondiale du Commerce.

En effet, si le Code de déontologie de la Profession laisse libre la fixation de la consultation, de la provision et même des honoraires, il interdit que soient fixés à l’avance des honoraires en fonction du résultat.

La disposition du libre choix des honoraires est faite dans l’intérêt non seulement de la concurrence ( une réglementation par le Conseil de l’ordre sera vite taxée de pratique anticoncurrentielle et soumise au Conseil de la Concurrence – dahir du 5 juin 2000, B.O n° 4810 du 6 juillet 2000, p. 1940 et s.) mais de l’avocat qui risque d’être surpris lui-même par le nombre des procédures qu’il serait conduit à engager ou à suivre lors d’une même affaire et par le temps que prendront ces procédures.

C’est dans ce sens que le législateur parle de la provision qui doit être versée dès l’acceptation du mandat.
C’est ensuite le manque d’information du client par l’avocat lui même. Le client a un droit légitime et élémentaire de savoir où il va. Il est par conséquent du devoir de l’avocat de l’informer du coût approximatif de ce que va lui coûter son intervention.

Or si les honoraires constituent la légitime rémunération du travail demandé à l’avocat, celui-ci doit, avant la fixation de ces honoraires ( qui doivent être justifiés par les circonstances et proportionnés aux services rendus ou à rendre ), tenir compte des facteurs suivants :

• son ancienneté et son expérience,
• la difficulté du problème soumis,
• la technicité ou la spécialisation de l’intervention,
• l’importance ou la hauteur des intérêts en litige,
• l’importance des devoirs accomplis,
• la célérité exceptionnelle,
• le temps consacré à l’affaire,
• la capacité financière de son client,
• le résultat obtenu.

Par ailleurs, si l’avocat doit éviter toutes les méthodes et attitudes susceptibles de donner à sa profession un caractère de lucre et de commercialité, il lui est strictement interdit de travailler à vil prix sans porter atteinte à la dignité de toute la profession. Il doit prendre en considération non seulement tous les éléments du dossier mais aussi se garder de descendre à certains chiffres dont l’acceptation constituerait un oubli flagrant de sa dignité. Plusieurs Barreaux de par le monde ont déféré des avocats devant leur conseil de discipline pour le seul fait d’avoir réclamé ou accepté des « à-comptes aussi peu conformes à l’usage ». L’avocat ne doit pas se sous-estimer ou sous-estimer sa science, son art et son travail sous peine de porter préjudice à tout le corps de la profession. Faute de trouver une jurisprudence marocaine en la matière, je me réfère à celle du tribunal de Fort-de-France qui a rendu en date du 20/10/1987 une décision fort éloquente sur la dignité de l’avocat en matière d’honoraires en considérant les honoraires proposés par la Compagnie d’assurances et acceptés par l’avocat indécents, inférieurs au tarif de l’aide judiciaire, déjà notablement insuffisant et au coût de l’affaire au cabinet de l’avocat. On peut même se demander si l’avocat qui aurait accepté ce type de tarif indécent, ne s’exposerait pas à des poursuites pour manquement à la dignité et si la convention ne pourrait pas être annulée sur le fondement de la prohibition du « dumping » ( Gaz.Pal, 2 fév.1989, p.18, note A. Damien ).

Au Maroc la situation est plus qu’alarmante. L’observateur n’a qu’à faire un tour dans les tribunaux et spécialement aux alentours des commissariats de police, de la gendarmerie, des parquets et des salles d’audience du flagrant délit ou du correctionnel en général pour constater le démarchage et la sollicitation à vil prix. Certains confrères qui acceptent la défense des prévenus à des prix dérisoires sans même ouvrir des dossiers ou consulter les pièces contenus dans les dossiers des tribunaux portent généralement atteinte aussi bien aux justiciables qui sont mal défendus ( des plaidoiries médiocres, non préparées…), mais aussi et surtout à tout le corps de la profession dont le sort, et par conséquent l’image, seront à court ou à long terme synonymes de médiocrité et de mendicité. Sans le savoir, certains confrères sont en train de bafouer la dignité de l’avocat au vu et au su des Conseils de l’Ordre et du parquet général. L’Etat lui même est lésé puisque ces dossiers échappent à toute fiscalité. Ils ne sont ni répertoriés ni contrôlés par le conseil de l’ordre.

Par ailleurs, l’avocat ne doit pas être à la merci du client de mauvaise foi qui, de parti pris, refuserait de lui régler ses honoraires tout en faisant appel à son concours, à son expérience, à son temps et à son labeur. C’est aller illico presto vers la paupérisation matérielle et intellectuelle de l’avocat et par là-même à la perte de son indépendance. Nombreux sont les confrères qui vivent actuellement et malheureusement cette situation car ils n’ont pas su ou pu gérer convenablement leurs cabinets.

Un client qui tergiverse ou qui refuse de payer les débours et honoraires à un avocat ne mérite pas d’être défendu et un avocat qui se laisse avoir par un client ne mérite pas d’être avocat.

Par conséquent, on ne saurait trop demander à l’avocat et à son client de déterminer les honoraires avec précision dans un mandat écrit de manière à éviter au client ce sentiment d’incertitude que peut constituer le mode de rémunération de l’avocat. Je ne saurais trop répéter à qui veut l’entendre le conseil du Bâtonnier Benslimane lors de mes premiers pas dans le Barreau de Rabat : « Ton client est ton premier adversaire…alors méfies-toi de lui ». Très sceptique sur ces propos au début de ma carrière, j’en ai fait les frais à mes dépens et à maintes reprises par la suite. Alors, pour éviter tout malentendu ou toute déception, un mandat doit être signé par les parties déterminant avec autant de précision que possible non pas la mission de l’avocat puisque ce dernier a un mandat ad-litem, mais surtout sa juste rétribution.

Un esprit nouveau doit donc être instauré, pour lequel la déontologie classique a besoin d’être rafraîchie.

En effet, si de par le monde, on accepte que le cabinet de l’avocat soit considéré comme une entreprise comportant des prises de risques et ayant pour but de dégager des profits, il y a lieu de considérer que les honoraires versés à l’avocat doivent lui permettre d’assurer sa contribution indispensable au service de la justice.

Il est donc mondialement admis aujourd’hui que les honoraires ont un double objectif : la couverture des frais de fonctionnement du cabinet et la rémunération de l’avocat.

Sur les honoraires perçus, 60% en moyenne servent à financer les charges inhérentes au fonctionnement du cabinet : loyer, personnel, charges sociales, frais de gestion, etc…( Bulletin du Bâtonnier de Paris « Spécial Honoraires », Alain Menard, oct.1996). Au Maroc la moyenne est beaucoup plus élevée ( d’après mon Cabinet ), mais, en l’absence de statistiques, je préfère garder comme référence celle du bâtonnat de Paris.
Durant presque vingt ans d’exercice, j’ai pu constater que la majorité écrasante des avocats et à leurs têtes leurs bâtonniers, ne sont pas très amis avec les chiffres.

C ’est pour cette raison que je préfère donner un exemple concret afin de me faire comprendre. Lorsqu’une personne ou une entreprise remet à l’avocat la somme de 5.000 dirhams au titre de ses honoraires pour une procédure par exemple, elle pense qu’elle l’a vraiment bien rémunéré. La réalité est toute autre. Car sur les 5000 dirhams il faut prélever 7% pour la T.V.A pour avoir 4650 dirhams sur lesquels il faut prélever 60% en tant que charges du Cabinet pour avoir un bénéfice net de 1860 dirhams. Sur ces 1860 dirhams il faut prélever 44% de l’I.G.R ( Impôt Général sur le Revenu ). Ce qui reste à l’avocat en tant que tel est 1041,60 dirhams. C’est tout ! Et pour cette somme il est obligé de rédiger, de se déplacer à la caisse du tribunal, d’assister aux audiences ( qui peuvent durer des années ), d’avertir le client à chaque fois ; de répliquer, d’aller chercher le prononcé du jugement ( parfois il revient bredouille car la prorogation a été décidée ), d’aller plusieurs fois pour avoir la Minute ou la Grosse ; de rédiger la demande de notification, d’aller à la caisse du tribunal et l’enregistrer, d’accompagner parfois l’huissier, lui compléter ses honoraires qui sont ridicules ( imaginez un huissier se déplaçant du Tribunal de Première Instance sis au quartier de l’océan où il a pris le pli à notifier à une personne habitant avenue Imam Malik à 10 km pour 15 dirhams d’honoraires … ), aller chercher le Certificat de notification et le visa sur la Grosse ; retourner au cabinet ; préparer la demande d’exécution, aller l’enregistrer au tribunal, accompagner l’huissier pour l’exécution, attendre qu’il ai versé le produit de l’exécution au tribunal, aller chercher la feuille de dépense, la remplir et la signer, préparer un reçu pour le Bureau des Notifications et des Exécutions Judiciaires ( B.N.E.J ), verser tous ces documents, revenir chercher le chèque et aller le verser au Compte de dépôt de la clientèle, recevoir le client et lui remettre son dû. Cet exemple qui ne concerne qu’un petit dossier de recouvrement ( qui prend parfois des années ) est en réalité très simple ( facile à dire ! ) en comparaison des dossiers qui nécessitent des recherches approfondies et des procédures compliquées et multiples.

Pourtant l’opinion que se fait le juge et le commun des mortels des avocats est des plus médiocres. Certes, s’il n’est pas aisé de convaincre le commun des mortels de la non cupidité de l’avocat, vu l’opinion bien ancrée dans les mentalités depuis des lustres, il faut avouer que les avocats peuvent défendre n’importe qui et n’importe quoi sauf leur profession. Pourtant un nombre considérable d’entre eux vivent au seuil de la pauvreté et n’arrivent pas, de nos jours, à honorer, ne serais-ce que leurs loyers. Ce qui est admirable c’est le fait que ces avocats ne s’abaissent pas, car le lucre n’est pas leur fort ni leur but. Pratiquement, tous suivent l’exemple de Maître Berryer, ce grand avocat du temps de Louis-Napoléon, répondant à un homme du monde. Celui-ci s’étonna qu’il n’ait pas fait fortune au cours de sa longue et glorieuse carrière « il vous eût suffi de vous abaisser pour ramasser cet argent qui vous eût mis à l’abri non seulement du besoin mais même de la médiocrité » et le célèbre défenseur de répliquer : « vous l’avez dit, il aura fallu se baisser ».

Assez rares sont ceux qui ont fait fortune à partir du métier d’avocat et la majorité écrasante d’entre eux vivote au jour le jour à cause non seulement d’une déontologie qui, en fait, ne protége pas l’avocat mais joue le rôle de goulot d’étranglement et que j’ai nommé à maintes reprises « La loi des Interdits » ( jetez un coup d’oeil sur la loi interne du Barreau de Rabat, vous serez sidéré ! ), mais aussi d’une grande partie de la clientèle qui croit que l’avocat « vend des paroles » et donc du « vent ». L’image du « bavard » est bien révolue depuis longtemps et nous avons démontré que le cabinet d’avocat est une véritable entreprise au service de la société qui, pour ne pas sombrer dans la faillite, dans la dépendance et peut-être un jour dans le salariat, a besoin de percevoir des honoraires justes et honorables.

En l’absence d’une réglementation, ne serait-ce qu’approximative, sur les honoraires, ( cette réglementation ne peut être établie puisque contraire au principe du libre jeu de la concurrence ), une véritable doctrine de la rémunération de l’avocat doit être établie.

En effet, si le principe est que l’honoraire est fixé librement en fonction de la difficulté de l’affaire, des frais exposés par l’avocat, de la structure de son cabinet, de sa notoriété, de sa spécialisation, des diligences accomplies et de la situation financière du client, la transparence est néanmoins requise pour essayer de dissiper cette idée pré-conçue sur la question et l’avocat a le devoir d’informer son client sur les honoraires et débours prévisibles de l’affaire. La transparence permet d’éviter par la suite le marchandage et fait gagner à l’avocat un temps considérable, qu’il utiliserait à mieux étudier les dossiers et à préparer ses plaidoiries.

Plusieurs formules peuvent être envisagées concernant les honoraires, mais procédons par étapes en fonction des différents rôles de l’avocat.

Le premier contact qui a lieu suite au premier rendez-vous consiste à ce que le client expose son affaire à l’avocat qui donne son avis verbal. C’est ce que l’on appelle « la consultation ». Celle-ci se doit d’être payante. Le client a été reçu par l’avocat, lui a pris un temps non négligeable, lui a soumis des documents dont il a pris connaissance. L’avocat prodigue des conseils lors de cette consultation. Ces conseils évitent les litiges ou aident à les résoudre. Le client est éclairé sur ses droits sinon orienté. Par conséquent la première consultation doit être payante. Ne pas se faire payer du client par l’avocat lors de cette première consultation est impardonnable et contraire à la dignité même de la profession. Que d’avocats n’avons-nous pas entendu donner des consultations dans les couloirs ou même dans les prétoires des tribunaux ! Que d’avocats le font dans les cafés de commerce ou lors d’un mariage . C’est effarent ! L’avocat doit garder une certaine dignité dans ces rapports avec la clientèle. Je me rappelle ici une anecdote sur le grand Bâtonnier Bouhmidi qui, au bain maure ( dans un bain public ), s’est vu accosté par l’un de ses clients. Après les salamalecs d’usage ce dernier demanda : « Où en est mon affaire Monsieur le bâtonnier ? » et le Bâtonnier de répliquer « est-ce que tu as sur toi le reçu du cabinet ?». « Non » dit le client. « Eh bien moi non plus, je n’ai pas ton dossier ici ! passes au Cabinet et on t’informera Inchallah.. ».

C’est effarent de voir des confrères solder leur savoir dans les cafés de commerce ou lors de cérémonies diverses en prodiguant gratuitement des conseils. C’est comme si des médecins spécialistes ou autres commençaient à examiner des gens dans les cafés et lors des mariages.., à leur donner des prescriptions ou des ordonnances, ou comme si des architectes commençaient à faire leurs plans dans les mêmes conditions. C’est un manquement à la dignité que de continuer dans cette voie, qui ne fait que détruire la profession toute entière et enfoncer l’avocat encore plus dans la misère, car un client potentiel, conseillé dans un café, est un client perdu pour l’avocat qui l’a conseillé ou pour tout autre confrère qui lui aurait fait payer à juste titre ses conseils.

Si nous n’avons aucun critère sur le plan interne pour la fixation du coût de la simple consultation, nous pouvons néanmoins nous aligner sur celle d’un médecin spécialiste de la ville de Casablanca et la fixer à un minimum de 300 dirhams. Il reste bien évident que ce taux peut être plus élevé en fonction de la difficulté du cas d’espèce, qui peut nécessiter des recherches et une étude plus approfondie.

En France la consultation simple démarre avec un minimum de 50 Euros-. En Belgique et par décision du 23 avril 1987, le Conseil National de l’Ordre des Avocats avait adopté une résolution permettant de fixer le montant des honoraires pour un premier conseil à la somme de 1.000 FB ( 24,78 Euros ), mais comme cette décision remontant à quinze ans, le tarif a du subir des révisions depuis. Plus, cette résolution du Conseil National entrant dans les pratiques anti-concurrentielles a été sûrement annulée ou abandonnée et nous ne l’avons cité que pour orienter l’avocat sur la nécessité de se faire payer à chaque consultation. Un cabinet d’avocats de Charleroi pratique les honoraires suivants pour les consultations : 1500 F maximum pour la consultation simple au cabinet, 2000 à 3500 F pour la consultation écrite simple, entre deux mille et 5.000 F l’heure pour la consultation, écrite ou non, ayant nécessité des recherches et des études préalables… Aux Etats Unis , la majorité des cabinets fixent leurs honoraires de consultation en fonction d’un tarif horaire qui varie en fonction de la réputation et de l’ancienneté de l’avocat. Ce tarif horaire démarre aux environs de $100 US. Dès que le client met le pied dans le bureau de l’avocat-conseil ( et non dans le cabinet ), le chronomètre se met en marche. Il en va de même pour la consultation par téléphone, où les secondes sont comptabilisées et la facture immédiatement adressée au client. Au Canada certains cabinets suivent les mêmes pratiques qu’aux Etats Unis tandis que d’autres fixent des honoraires forfaitaires qui démarrent à partir de $ 85 canadien par consultation.

En Allemagne une consultation simple, verbale ou écrite ne doit pas dépasser 350 DM ( en 1998 ). La consultation écrite détaillée (exposé des faits, analyse juridique et solution) donnent lieu évidemment à des honoraires très supérieurs, sous réserve d’une convention écrite.

L’avocat dans le cadre de la consultation juridique verbale ou écrite ne joue pas le rôle de l’avocat mais du consultant. C’est son analyse et son conseil qui sont rétribués.

Dans le cadre de la rédaction des actes, les honoraires peuvent être alignés sur ceux des notaires. Un contrat de bail simple peut être fait à partir de 1000 dirhams. Le contrat de vente d’immeuble à partir de 5.000 dirhams ou 1% de la valeur du bien, etc.

Assister l’entreprise dans la conclusion d’un accord ou essayer de trouver une solution négociée et éviter par là le contentieux mérite également rétribution. Celle-ci peut être calculée en fonction de la difficulté de la tâche, du temps passé et même du résultat obtenu.

Cela ne signifie nullement qu’en cas d’échec l’avocat ne serait pas rémunéré. Ce dernier n’a en effet qu’une obligation de moyen et non de résultat, contrairement à ce que pense une bonne partie de la clientèle. Par conséquent l’avocat doit bien préciser cette donne dans le mandat écrit qu’il conclut avec son client, bien qu’elle soit d’ordre public.

En dehors des frais de première consultation, s’il est sollicité pour suivre ou engager un procédure judiciaire, l’avocat doit exiger du client le paiement des frais du dossier. Ces frais, qui ne peuvent en aucun cas être considérés comme des honoraires comprennent normalement :

• Les frais d’ouverture du dossier qui englobent l’encodage, la constitution, l’archivage et les frais de conservation des archives durant cinq ans - art. 49 du dahir du 10/9/1993- ( d’après nos recherches sur les tarifs les plus bas ces frais peuvent être fixés entre 250 à 500 dirhams en fonction de l’importance de l’affaire et de la situation matérielle du client ) ;
• Les correspondances c’est-à-dire les lettres et fax envoyés par l’avocat au client, à l’adversaire, au tribunal, aux experts et à tout intervenant dans l’affaire ( le cabinet qui pratique les plus bas prix est un cabinet belge : 7 Euros par pièce )
• Les frais de saisie et de tirage sur ordinateur comprenant les pièces de procédure c’est à dire requêtes, citations, conclusions et notes, sont comptés par ce même cabinet belge à 7 Euros par feuillet.

Il est possible de convenir d’un montant fixe pour les frais de dossier mais attention à la sous-estimation des dépenses futures. Il est toujours conseillé de demander une avance et une fois épuisée d’en réclamer une autre.

L’avocat doit également sensibiliser le client et l’informer sur les frais de justice qui ne sont jamais compris, sauf stipulation contraire, dans les honoraires. Ces frais de justice comprennent entre autres :
• Les droits d’enregistrement et de timbre,
• Les frais des tribunaux ( droits d’introduction ou de plaidoirie, frais de copie de dossiers, de pièces…),
• Les vignettes,
• Les frais de traduction,
• Les frais d’huissier, etc.

Si le dossier est cité en dehors de la ville où exerce l’avocat, ce dernier doit faire supporter au client non seulement les frais des déplacements, de séjour ou autres mais une indemnité compensatrice spéciale si le déplacement se fait vers une destination lointaine nécessitant l’absence de l’avocat de son cabinet pendant 24 heures ou 48 heures par exemple.

Les honoraires proprement dits sont librement fixés entre l’avocat et son client ( article 43 du dahir du 10/9/1993 ). Il n’est nullement utile de répéter les critères sur lesquels doit se baser l’avocat pour la fixation de ses honoraires. En réalité il est pratiquement impossible de déterminer quel sera à la suite d’un litige l’état global de frais et honoraires. En effet, tout est lié à l’importance du travail à réaliser. Une simple ordonnance du Président du Tribunal de Première instance n’est nullement comparable à un arrêt obtenu après quatre ans de procédures, deux degrés de juridictions, 60 pages de conclusions, la présence de l’avocat lors des expertises ou des constats, des déplacements, des courriers, des mesures de sûreté et d’exécution…

Les avocats peuvent fixer forfaitairement ou au temps passé leurs honoraires. Dans les pays développés le taux horaire est admis. Nous prenons l’exemple d’un Cabinet d’avocats belges qui pratique un taux horaire qui démarre à 82,76 Euros mais qui peut être augmenté en fonction des critères déjà énumérés. Nous prenons aussi l’exemple de ce cabinet d’avocats installé à Nice et qui pratique les taux horaires suivants : 228,67 Euros de l’heure en droit public ; 182,93 Euros de l’heure en droit immobilier ; 152,44 Euros de l’heure en toute autre matière. Un cabinet d’avocats de Charleroi ( Belgique ) travaille au taux horaire de 2.000 à 5.000 FB ( tarif de 1987 ). Si ces tarifs peuvent paraître parfois quelque peu excessifs, il suffit de les adapter au contexte marocain, mais à notre avis la mentalité de chez nous n’est pas encore prête pour un tarif horaire.
Le tarif forfaitaire est le plus couramment pratiqué au Maroc, mais là encore la liberté est laissée aux parties. A titre indicatif voici les tarifs d’un cabinet d’avocats français qui continue à pratiquer des honoraires forfaitaires :

• devant le tribunal d’instance, à partir de 3.000 FF ( hors taxe ),
• devant le tribunal de grande instance, à partir de 6.000 FF( H.T)
• devant le tribunal de commerce, à partir de 4.000 FF ( H.T ),
• devant la Cour d’appel, à partir de 6.000 FF ( H.T ),
• devant le tribunal de police, à partir de 2.500 FF(H.T ),
• devant le tribunal correctionnel, à partir de 4.000 FF ( H.T ),
• devant la Cour d’assises, à partir de 20.000 FF ( H.T ),

Il faut entendre par les tarifs ci-dessus indiqués qu’ils s’appliquent par procédure et par degré de juridiction. Une affaire devant le tribunal de première instance et la même affaire devant la Cour d’appel donnent lieu à deux honoraires distincts sauf accord contraire.

En Allemagne le barème de 1998 ( qui est devenu lui-même contraire au principe du libre jeu de la concurrence ) fixe les honoraires de l’avocat pour l’audience devant la juridiction pénale en fonction du degré de chaque juridiction entre 100 et 2540 DM pour le premier jour et entre 100 et 1270 DM pour chaque audience supplémentaire. Au cours de l’instruction préparatoire le coût varie entre 85 et 1270 DM. Il est d’usage de demander des honoraires supérieurs à l’honoraire légal et également d’usage de demander, sans justificatifs, le remboursement forfaitaire des frais de port et de téléphone ne pouvant dépasser 15% de l’honoraire légal et un plafond de 30 DM.

Dans les affaires civiles, commerciales ou autres et qui tendent au recouvrement d’une somme d’argent ( à la suite d’une créance, d’un dommage causé, etc…), un honoraire complémentaire dit de résultat peut être réclamé et obtenu par l’avocat. Certes, la loi prohibe le pacte de « quota litis » ( aux Etats Unis on parle de « success fees, parfaitement licites ) qui consiste à quantifier l’honoraire de l’avocat uniquement en fonction d’un pourcentage sur le résultat qui sera obtenu ( art. 44, al.1 du dahir du 10/9/1993 ). Mais ce pacte est parfaitement licite quand il constitue le solde d’honoraires par rapport aux honoraires de gestion déjà prévus ou perçus. L’honoraire de résultat est convenu avec le client mais n’est payable qu’au moment du paiement effectif par la partie adverse des sommes ayant été mises à leur charge. Cette pratique, connue sous le nom de « palmarium », consiste à associer directement et exclusivement l’avocat aux chances du procès. Elle est différente du pacte de quota litis qui lie les honoraires exclusivement au résultat. La France qui déclarait ce dernier illicite a adopté par la loi du 10 juillet 1991 le « palmarium » en déclarant « qu’était licite la convention qui, outre la rémunération des prestations effectuées, prévoit la fixation d’honoraires complémentaires en fonction du résultat obtenu ou du service rendu ». C’est en fait une protection de l’avocat lui-même qui risque après plusieurs années de travail et de frais de voir son client débouté.

D’autres pays pratiquent la rémunération en fonction de la valeur de l’affaire, soit un pourcentage sur les affaires qui mettent en jeu une somme d’argent. Les taux varient généralement entre 10 et 30 % en dehors des frais de dossier, d’une provision sur honoraires et des débours ( Iraq : 20%, Egypte 20%, Jordanie 25%, etc.. voir Rissalat Al Mouhamat n°11-12, p.387 ). En réalité, il serait vain de dresser un tableau complet des honoraires qui peuvent en réalité varier d’un dossier à un autre en fonction de l’affaire elle-même et du cabinet de l’avocat ( structure, notoriété, etc..); l’affaire est-elle évaluable en argent, s’agit-il d’une créance non contestée ou d’une créance contestée ; s’agit-il d’une affaire non évaluable en argent et devant quelle juridiction ?, etc … ; le cabinet de l’avocat est-il bien structuré, l’avocat a-t-il une grande expérience et une certaine notoriété ?, etc.

Il est parfaitement permis à chaque cabinet d’établir de façon autonome et en fonction de ses coûts propres, un barème qu’il peut porter à la connaissance de ses clients.

Un autre mode de rémunération parfaitement licite consiste en un contrat d’abonnement au cabinet d’avocat ( art.47 de la loi interne ). Il peut être combiné avec le cas par cas. Généralement ce genre de contrat est conclu avec les administrations, les établissements publics et les personnes morales de droit privé. Une question peut se poser concernant un tel contrat avec une administration, un établissement public ou un conseil municipal ou communal. S’agit-il d’un contrat administratif ou d’une simple convention de droit privé ? La réponse a été consacré par le tribunal administratif d’Oujda qui en date du 10/3/1999 s’est déclaré incompétent pour connaître d’un litige opposant un avocat à une commune rurale, tous deux liés par une convention de droit privé dont la non exécution est soumise aux tribunaux de droit commun ( Al Ichaa, n°21, 2000, p.231 ). Ce genre de contrat se conclut généralement avec une personne morale ou physique qui a souvent recours à l’avocat pour des consultations et éventuellement pour le contentieux. L’avocat acceptera dans ce cas des honoraires annuels versés par mensualités et destinés à assurer le service juridique dont l’entreprise ( ou une personne physique ) a besoin, et éventuellement un certain nombre de dossiers à suivre sur le plan judiciaire. En réalité une convention de ce genre, si elle n’est pas limitative, comporte des risques pour l’avocat si elle inclut et le juridique et le judiciaire. L’avocat peut être surpris par le nombre des consultations verbales ou écrites et par le nombre des dossiers qu’il se voit obligé de suivre devant les instances judiciaires. Nous conseillons par conséquent à ce qu’il y ait des honoraires pour l’avocat en tant que conseiller, c’est le volet juridique et des honoraires du cas par cas pour le contentieux, c’est le volet judiciaire en plus des frais de dossier, des dépens et des frais des déplacements.

En dehors des cas où l’avocat perçoit des sommes d’argent au profit d’un mineur et où le recours au bâtonnier pour la taxation est obligatoire ( art.55 qui pose en fait un véritable problème puisqu’il impose un délai de 15 jours pour déposer les sommes perçues après prélèvement des débours et honoraires ; le plus logique serait de déposer les sommes perçues 15 jours après la décision du bâtonnier… ) et en dehors des cas où une convention a été conclue entre les parties, le problème de la transparence et du manque d’information peut conduire à un différend entre l’avocat et son client sur les honoraires. Si l’avocat n’a pas informé son client des sommes éventuelles qu’il serait conduit à débourser soit au cours soit à la fin d’une procédure, si aucun accord écrit n’a été conclu et si le différend persiste, le client de l’avocat peut dans les trois mois qui suivent l’arrêt des comptes et la fin du mandat recourir au bâtonnier pour fixer les honoraires et les débours de l’avocat ( art.50 du dahir du 10/9/1993 ). La décision du bâtonnier de Rabat rendue le 29/12/2000 dans le dossier de taxation n° 220/2001 et confirmée par le vice-président de la Cour d’appel de Rabat en date du 25/10/2001 ( voir Journal Al Alam n° 18918 du 3 mars 2002, page 3 ) va à l’encontre de l’article 50 précité. D’après les faits rapportés par le journal, le client de l’avocat, neuf mois après l’arrêt des comptes et l’encaissement du chèque, s’est adressé au bâtonnier pour la baisse des honoraires prélevés. Le plus grave c’est l’interprétation donnée par le vice-président de la Cour d’appel de Rabat, qui dans l’un des attendus de la décision stipule « qu’il ne ressort nullement de la rédaction de l’article 50 que la non observation du délai ( délai de trois mois ) est assortie de la déchéance de la demande. » ( sic ). Or il s’agit bien là d’un cas de prescription extinctive, puisque le législateur fixe un délai pour l’exercice d’un droit pendant un temps déterminé, qui est de trois mois, au delà duquel, le droit est éteint. La Cour Suprême n’aura pas l’occasion d’examiner cette décision puisque l’article 92 du dahir de 1993 ne permet aucun recours contre la décision du Président de la Cour d’appel ayant trait aux honoraires.

L’avocat peut également s’adresser au bâtonnier pour lui exposer toute difficulté dans ce domaine et lui présenter une demande de taxation des honoraires et débours. Le législateur ne lie pas l’avocat au délai de trois mois, contrairement à ce qu’a jugé le vice-président de la Cour d’appel de Rabat dans l’une de ces décisions. L’action naissant de l’obligation n’est éteinte pour l’avocat que suivant l’article 387, qui prévoit une prescription de 15 ans et non celle d’une année comme il se plait à certains de l’arguer sur la base de l’article 389-1, puisque le texte qui était rédigé en français à l’époque parle des Oukil c’est-à-dire les anciens défenseurs agréés, et non pas des avocats en tant que tels ( voir dans ce sens : Cour d’appel de Rabat, 17/2/1934, R .A.C.A.R, T.IX, p.518, voir aussi Cour d’appel de Rabat, 17/2/1938, R.A.C.A.R,T.IX, p.518 et Cour d’appel de Rabat, 9/12/1938, R.A.C.A.R, T.X, p.57 ). Certains vont même plus loin et affirment que du moment que la profession est réglementé par un texte spécial qui est muet sur la question, l’avocat n’est nullement tenu par un délai et peut demander la taxation à tout moment ( Jean Paul Razon, « Les institutions judiciaires et la procédure civile au Maroc, 1988, p.80 ).

Le bâtonnier n’intervient qu’en l’absence d’une preuve écrite ou d’un aveu formel de l’une ou l’autre des parties sur leur accord concernant les honoraires ( Cour d’appel de Marrakech, décision du Premier Président n°556 du 11/2/1987, dossier n°22/87 ; in Al Mourafaa, décembre 2000, p.177 ). En cas d’accord écrit conclu entre l’avocat et son client, la compétence revient aux juges du fond ( ou au Président du Tribunal s’il s’agit d’une reconnaissance de dette ), auxquels les parties peuvent s’adresser pour réclamer l’exécution de l’obligation et non au bâtonnier ( Cour d’appel de Rabat, décision n°2526, 25/12/1992, Al Ichaa n°8, 1992, p.106, voir aussi Cour d’appel de Rabat, décision du Président n° 2526, 25/5/1992, Rissalat Al Mouhamat, n°11-12, p.383 ).

Le bâtonnier, s’il le juge utile, peut entendre les dires des uns et des autres dans un délai de 15 jours de la réception de la demande de taxation ( art.50 al.3 ) ; il doit rendre sa décision dans le délai d’un mois ( al.4 ), laquelle décision est notifiée à l’avocat et à son client dans le délai de 15 jours ( al.5 ). Le législateur est muet sur le cas où le bâtonnier ne rend pas sa décision dans le délai de 30 jours, ce qui laisse la porte ouverte aux abus et au laisser aller. Certains dossiers de taxation ont connus la moisissure pendant des années dans les Bâtonnats du Maroc. Le Président de la Cour d’appel de Rabat a estimé qu’on ne peut pas considérer comme un refus tacite le fait que le bâtonnier n’ait pas rendu sa décision de taxation dans les délais de l’article 90 qui ne parle que des délais de recours contre les décisions du conseil de l’ordre ; le texte applicable étant l’article 92 qui ne fixe pas de délai au bâtonnier en matière de taxation ( Cour d’appel de Rabat, décision N° 1964,11/3/1999, in Rissalat Al Mouhamat n°9, oct.1999, p.96 ). En France, si le bâtonnier ne rend pas sa décision dans un délai de 3 mois, il est dessaisi du pouvoir de le faire et l’affaire est directement portée devant le Premier Président. La partie la plus diligente, dans le mois qui suit l’expiration de ce délai, saisit le Premier Président par lettre recommandée avec accusé de réception ( art.176 ).

L’intervention du bâtonnier se limite en fait à une conciliation à laquelle le législateur, en cas de succès, c’est à dire si aucune des parties ne la conteste dans les délais, confère un effet exécutoire. Elle n’est pas exécutoire de plein droit comme une décision judiciaire mais peut être rendue exécutoire – passé le délai de l’appel - par le Président du Tribunal de Première instance de la ville où se trouve le siège du Conseil de l’Ordre ( art. 51 ).

En France l’article 77 du décret du 27 novembre 1991 précise que ce n’est pas la décision du bâtonnier qui est déférée devant le Premier Président de la Cour d’appel mais « la contestation d’honoraires ». En droit marocain cette délicatesse n’est pas observée puisque l’article 92 stipule que la décision du bâtonnier concernant les honoraires peut faire l’objet d’un recours devant le Premier Président de la Cour d’appel dans le délai de 15 jours à compter de sa notification. Le texte reste muet sur les modalités et les formalités de la notification de la décision de taxation. Notons par ailleurs que la décision du Premier Président n’est susceptible d’aucun recours ( art.92 al.3 ). La Cour Suprême en date du 4/1/1996 a eu l’occasion de faire jouer cette disposition ( arrêt n°27, in Rissalat Al Mouhamat, n°13, oct.1993, p.73 ).

Concernant la taxation des honoraires ou des débours du bâtonnier en exercice, elle est faite par l’ex-bâtonnier de l’Ordre et en cas de carence, par le membre le plus ancien du Conseil de l’Ordre ( art.50, al.6 ). La France prévoit dans le même cas d’espèce le recours devant le Président du Tribunal de Grande Instance ( art . 179, décret du 27 novembre 1991 ), qui statue selon les règles établies dans les articles 177 et 178.

La décision du bâtonnier concernant les honoraires peut faire l’objet d’un recours auprès du Premier Président de la Cour d’appel. Le délai du recours est fixé à 15 jours ( art.92 ) à dater de la notification. Ce recours doit être exercé par un avocat inscrit à l’un des tableaux du barreau du Maroc sous peine d’irrecevabilité ( art.31 ). C’est ainsi que le Premier Président de la Cour d’appel de Kénitra a déclaré irrecevable le recours intenté personnellement contre la décision du bâtonnier fixant les honoraires d’un avocat par le client de ce dernier ( Cour d’appel de Kénitra, décision n°29/99, en date du 9/11/1999, dossier de taxation n°29, Al Ichaa, décembre 2001, p.152 ; voir aussi Cour d’Appel d’Asfi, décision n°1004, 14/4/1999, in Rissalat Al Mouhamat n°14, 1999). Un problème peut se poser dans le cas où un avocat est mandaté par un client pour attaquer la décision de taxation contre un confrère. En effet l’article 18 de la loi interne du Barreau de Rabat dispose que « Tout avocat chargé d’intenter une action contre un confrère qu’il soit du même barreau ou d’un autre barreau doit, avant d’entamer quoi que ce soit, obtenir l’autorisation écrite du bâtonnier ». Cette disposition, si elle est appliquée à la lettre et devant le cours délai de l’article 92 ( 15 jours ), risque de porter de graves préjudices aux justiciables. Mais en fait c’est la décision du bâtonnier qui est l’objet du recours et non le confrère en tant que tel. Par conséquent, l’autorisation n’a pas lieu d’être.

Le recours doit donc être formulé par un avocat inscrit au Tableau par une requête écrite respectant les formes exigées pour toute requête d’appel. Cette requête est soumise au paiement d’une taxe judiciaire.

Au recours, s’il est présenté par l’avocat, doit être joint le dossier du cabinet de ce dernier afin de permettre au Président de la Cour d’appel d’apprécier le travail et les services accomplis par l’avocat au profit de son client. Le président de la Cour d’appel de Casablanca, après avoir mis en demeure un avocat de produire le dossier de son cabinet et devant le fait qu’il ne s’est pas exécuté ne lui permettant pas de connaître exactement les travaux et services accomplis au profit de son client a annulé la décision de taxation du bâtonnier ( voir G.T.M n°83 année 2000, p. 151 ).

L’audience est tenue à huit clos. C’est normal vu le volet du secret professionnel qui doit entourer l’affaire. Seuls sont autorisés à être présents à l’audience en dehors du Président de la Cour d’appel ou la personne mandaté par lui, le procureur général du Roi, les mandataires des parties qui peuvent d’ailleurs se contenter de conclusions écrites.

L’avocat qui décide de prendre la suite d’une affaire en cours doit s’assurer que le confrère a reçu ses honoraires ou tout au plus obtenir son autorisation écrite. La non-observation de cette règle constitue une violation de l’art.20 de la loi interne du Barreau de Rabat ( Cour d’appel de Rabat, 19/11/1999, Al Ichaa, N°22, 2000, p.192 ).

Par ailleurs, les honoraires de l’avocat constituent une créance privilégiée et nonobstant les phases du redressement judiciaire de l’entreprise ( Cour commerciale d’appel de Casablanca, arrêt n°1510/2000/11, 10/10/2000, G.T.M n°88, p.168 ).

Je tiens aussi à souligner que l’avocat, même s’il a reçu une provision sur honoraires, peut décider de ne pas poursuivre sa mission sans justifier sa décision. Le législateur lui impose seulement de le faire connaître à son client par lettre recommandée avec accusé de réception en temps utile pour lui permettre de pourvoir à la défense de ses intérêts ( art.46 ). Il en va de même du client, qui peut révoquer son mandat à tout moment de la procédure à condition de payer à l’avocat les honoraires et les frais dus pour les missions remplies dans son intérêt.

Si j’ai estimé utile de parler du contentieux des honoraires en l’abordant du côté procédural ( ce sujet barbant mérite à lui seul tout un ouvrage ! ), c’est pour attirer l’attention et de l’avocat et du client sur la nécessité de l’éviter en ayant recours à la transparence et au mandat écrit. Certains avocats vont crier à l’hérésie concernant l’appel à un mandat écrit, du moment qu’au Maroc l’article 29 du Code de déontologie spécifie qu’en dehors des cas du faux, du serment et de la représentation d’une partie lors de la conclusion d’un contrat, l’avocat a une procuration générale, même si elle n’est pas écrite. C’est le mandat ad-litem. Je suis peut-être plus jaloux que tous mes confrères de cette prérogative, qui marque toute la confiance placée dans les avocats par la société. Mais tout en gardant cette prérogative, tout en la défendant corps et âme je réitère mon appel pour qu’un accord écrit soit dressé entre l’avocat et son client et concernant seulement la référence de l’affaire et les honoraires convenus. Cet accord restera secret et ne sortira de l’ombre qu’en cas de non-paiement par le client ou en cas de prélèvement excessif et dépassant l’accord par l’avocat. Cela évitera les surprises et les frictions entre les avocats et leurs clients. Cela évitera aux bâtonniers de perdre un temps fou à compulser les dossiers des confrères au vu de les taxer. Cela évitera de dévoiler le dossier du client et par conséquent de préserver le secret professionnel même vis à vis du bâtonnier, du Président de la Cour d’appel et du Procureur général. Ceci évitera également de mobiliser des juridictions, d’encombrer les Présidents des Cours d’appel, des procureurs généraux inutilement. Cela ramènera enfin la confiance et la sérénité qui se perd de jour en jour entre les avocats et leurs clients.

Je ne peux que le répéter : « En cas d’accord écrit sur le montant des honoraires, la seule voie qui permet à l’avocat en tant que mandataire le recouvrement de ses honoraires est de s’adresser au juge compétent pour demander l’exécution d’une obligation. Le bâtonnier n’est pas compétent pour ratifier les honoraires déjà fixés entre l’avocat et son client » ( Al Ichaa, 1992, p.106 ).

D’autre part, on ne peut plus considérer les honoraires comme une « rétribution » de l’honorabilité telle que définie au début du siècle dernier, mais bel et bien comme la rémunération d’un service rendu dont 60% vont pour les charges du cabinet et sur le reste sont prélevés 44% pour l’I.G.R. Un avocat non rémunéré ou mal rémunéré est un avocat non motivé devant l’ampleur de la tâche qu’on lui demande et on ne peut nullement exiger de lui « qu’il observe, dans sa conduite professionnelle les principes d’indépendance, d’impartialité, d’intégrité, de dignité, d’honneur et tout ce qu’exigent les bonnes mœurs » tels qu’énumérés à l’article 3 du dahir de 1993.

Le bâtonnier doit donc tenir compte, au moment de la taxation, de la charge qui pèse sur le cabinet de l’avocat. Un dossier mal taxé ou sous-taxé engendre des frustrations et même des rancunes dont l’avocat peut bien se passer. Pire, la frustration encourage des pratiques qui sont contraires aux principes d’indépendance, d’impartialité, d’intégrité, de dignité, d’honneur que nous avons eu l’occasion d’aborder précédemment. Le rôle du bâtonnier est d’être juste et responsable. C’est à cette condition qu’il peut exiger des avocats d’observer les principes déjà énumérés.

Le rôle du Président de la Cour d’appel lors de l’examen des honoraires déjà fixés est également des plus importants. Le président de la cour d’appel peut contribuer aussi et à l’instar du bâtonnier soit à l’instauration d’un équilibre entre l’avocat et son client en cas d’absence d’un accord préalable sur les honoraires soit à l’instauration d’un climat de frustration dont les conséquences sont préjudiciables à la profession d’avocat et au monde judiciaire d’une manière générale.

3- L'accès à la profession d'avocat et le stage

Pour que la profession d’avocat ne sombre pas dans la léthargie et dans la médiocrité, l’avocat doit être préparé à être avocat bien avant et au cours de ses études universitaires. Avant la faculté, c’est toute la politique de l’enseignement du primaire et du secondaire qui est mise en balance et qui conclut à l’échec. Au niveaux de la faculté des cours et des travaux pratiques doivent être revus, d’autres ajoutés. Le niveau des promotions que nous livrent les différentes facultés de droit laisse beaucoup à désirer, sans parler des centaines de candidats qui viennent de nos jours à la profession parce qu’ils n’ont trouvé ouvertes que les portes de cette dernière ; la majorité d’entre eux ne sont pas motivés et le niveau des mœurs connaît une dégradation certaine. Les conditions dans lesquelles se déroule le stage n’échapperont pas non plus à notre critique.

L’article 5 du dahir de 1993 pose les conditions que doit remplir le candidat à la profession d’avocat.


Celui-ci doit être de nationalité marocaine ou ressortissant d’un Etat lié au Royaume par une convention reconnaissant aux nationaux des deux Etats le droit d’exercer la profession d’avocat dans l’autre. Cette réciprocité a été cependant restreinte par certains pays. Nous citons notamment le cas de la convention du 20 mai 1965 qui lie le Maroc à la France et dont le domaine d’application fut restreint par l’article 11 dernier alinéa de la loi du 31 décembre 1971. La loi française prévoit que « l’avocat ressortissant d’un Etat ou d’une unité territoriale n’appartenant pas aux communautés européennes ou à l’espace économique européen, s’il n’est pas titulaire d’un certificat d’aptitude à la profession d’avocat, doit subir pour pouvoir s’inscrire à un barreau français, les épreuves d’un examen de contrôle des connaissances en droit français… ». Ici se posera le problème de la force de la loi interne au regard de la convention internationale. Ce problème pourra faire l’objet d’une étude à part bien que la restriction soit logique à notre sens et le législateur marocain doit s’en inspirer pour stopper l’implantation de ces cabinets internationaux dont les titulaires ne connaissent ni la langue du pays ni ses lois.


Le candidat doit être majeur et jouir de ses droits civiques et civils et être titulaire de la licence en droit délivrée par une faculté marocaine de droit ou d’un diplôme équivalent d’une faculté étrangère de droit. Le problème s’est posé à maintes reprises concernant le fait de savoir si la licence en droit doit être en droit privé ou peut être en droit public ou en sciences économiques. En effet, la faculté de droit au Maroc porte la dénomination de « Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales » et délivre trois sortes de licences : la licence en sciences juridiques, la licence en droit public et la licence en sciences économiques. Certains barreaux avaient refusé par le passé l’inscription de candidats titulaires d’une licence autre qu’en droit privé. Les candidats avaient interjeté appel contre les décisions des conseils de l’ordre, et plusieurs arrêts ont été rendus par les cours d’appel. C’est ainsi que la cour d’appel de Tanger a rendu en date 15 mars 1988 l’arrêt n°443 spécifiant que « le titulaire de la licence en sciences économiques peut avoir accès à la profession d’avocat puisque cette licence est une licence en droit tel qu’exigée par la loi du barreau ». Dans cet arrêt la cour d’appel de Tanger a annulé la décision du conseil de l’ordre et a ordonné l’inscription de l’appelant sur la liste du stage ( voir l’arrêt in « La jurisprudence concernant la profession d’avocat », El Bachir Baji, 1991, p.7 ). La cour d’appel de Rabat a également annulé en date du 3 février 1989 ( arrêt n° 914 ) la décision du conseil de l’ordre de Kénitra qui avait refusé l’inscription d’un candidat titulaire de la licence en sciences politiques ( Al Ichaa, n°1, 1989, p.131 ) et a ordonné son inscription sur la liste du stage.

Le postulant doit être par ailleurs titulaire du certificat d’aptitude à l’exercice de la profession d’avocat ( C.A.P.A) depuis moins de deux ans ; il ne doit pas avoir été condamné à une peine judiciaire, disciplinaire ou administrative pour faits contraires à l’honneur, à la probité ou aux bonnes mœurs. Les simples poursuites non suivies par une condamnation disciplinaire, administrative ou judiciaire ne peuvent constituer une cause de refus d’inscription ( Cour suprême, 6 février 1989, arrêt 336, dossier 2404/83 ; Kadaa Al Majliss Al Aala, n°42/43, 1989, p.77 ). La cour d’appel de Rabat est allé trop loin dans sa décision n°3223 en date du 6/7/1984 lorsqu’elle a considéré que « le blâme dont un juge a été l’objet de la part du Conseil Supérieur de la magistrature ne le prive pas de la possibilité d’être postulant à la profession d’avocat » (sic) ; ( El Bachir Baji, précité, p.13 ).

D’autre part, le candidat doit n’avoir pas été déclaré en état de faillite sauf s’il a fait l’objet d’une réhabilitation, être en position régulière à l’égard du service militaire et du service civil ( ce dernier n’existe plus) et avoir rempli tout engagement valablement contracté avec une administration ou un établissement public pour y servir pendant une durée déterminée ;


Il doit être en mesure d’exercer effectivement la profession avec toutes ses charges. Dans ce sens, la Cour suprême, dans un arrêt en date du 6 février 1981 a décidé que : « peut être avocat la personne atteinte de cécité » et « qu’il n’y a aucun texte qui impose à l’avocat de consulter personnellement les documents d’un dossier ou lui interdit de recourir à autrui pour l’assister dans les audiences. La violation du secret professionnel n’est punie que lorsqu’il est prouvé qu’elle a eu lieu » ( Les arrêts de la Cour Suprême, civil, 1966-1982, p.679 ).


Le postulant ne doit pas dépasser quarante ans sauf s’il est dispensé du C.A.P.A et du stage. Le but du législateur est de limiter l’accès à la profession d’avocat à ceux qui ont moins de 40 ans afin d’empêcher qu’elle ne soit immergée par des retraités venus du secteur public, semi-public ou privé. Le métier d’avocat étant un service public, par nature dur et précis, ne peut être laissé à la portée de personnes qui doivent normalement vaquer à leur retraite ou à la portée d’autres qui cherchent un moyen de blanchiment d’argent sale. Actuellement des pressions se font par voie de presse et autre afin d’ouvrir la profession à toutes les tranches d’âge. D’autres par contre avancent que la limitation d’âge doit non seulement être maintenue mais étendue à ceux-là même qui sont dispensés du C.A.P.A et du stage. On ne s’improvise pas avocat à 60 ans. La porter à 45 ans – comme le préconisent certains - ne servirait à rien car il faut une période variant entre 5 à 10 ans de pratique pour s’adapter au monde du barreau.


Par ailleurs, le dahir de 1993 prévoit que le Certificat d’Aptitude à la Profession d’Avocat ( C.A.P.A ) est délivré par un Centre Régional de Formation dont la création et le fonctionnement seront fixés par décret ( art.6 ). Depuis lors, aucun décret n’a été promulgué et en l’absence du décret aucun arrêté ne peut valablement être pris pour fixer le programme et les modalités de l’examen d’accès au Centre Régional de Formation Professionnelle d’Avocats ( CRFPA). Le différend existe entre le « Ministère des Affaires Judiciaires » et les différents barreaux du Maroc et porte sur le problème du financement de ces centres. Les Barreaux n’ont aucunement les moyens matériels ni pour créer ni pour faire fonctionner lesdits Centres. En France, l’article 13 et 58-8 de la loi du 31 décembre 1971 prévoit une participation de l’Etat dans le financement des CRFPA. L’article 62 du décret du 27 novembre 1991 prévoit également des aides spécifiques de l’Etat délivrées dans le cadre des dispositions prévues par le livre 9 du code du travail, le tout à côté des cotisations des avocats affectés à cette formation ( arrêté du 26 octobre 1992 ), les dons et legs et le produit des fonds détenus par les caisses de règlements pécuniaires des avocats ( CARPA ).


Toujours en France et à côté des CRFPA, certains particuliers ont eu l’idée de créer des Centres privés de formation de l’avocat pour les préparer à l’examen d’entrée du CRFPA. Il s’agit là d’instituts que l’on peut qualifier de pré-barreau. On apprend au candidat, outre ce qui est juridique, judiciaire ou extra-judiciaire, l’éloquence. Dans ce cours on dispense un enseignement extrêmement intéressant où on étudie « le geste », « la voix », « la mémoire », « le trac », « l’expression », « l’improvisation », « la concentration », etc…Ces instituts privés assurent une formation non seulement pour les avocats mais aussi pour les P.D.G, les hommes politiques, etc…


Le retard dans la promulgation du décret sus-visé de l’article 6 porte préjudice à toute la profession d’avocat et les nouveaux venus qui entrent directement en stage trouvent des difficultés pendant plusieurs années après leur inscription au Tableau avant de commencer à s’adapter au monde judiciaire.


Toujours en France, l’entrée au CRFPA est conditionnée par la réussite non pas à un concours mais à un examen ( article 51 du décret du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat ). Citons à titre d’exemple l’arrêté du 29 janvier 1998 qui fixe le programme et les modalités de cet examen. Le programme comprend le droit civil ( les personnes et les droits de la personnalité, le droit de propriété, la copropriété et la possession, les obligations, les preuves, les prescriptions, les sûretés réelles et personnelles ), le droit pénal – général et spécial – ( principe de la légalité des infractions et des peines, peines et mesures de sûreté, application de la loi pénale dans le temps et dans l’espace, le régime de l’enfance délinquante, l’homicide volontaire, homicide et blessures involontaires, délit de fuite, coups et blessures volontaires, vol, escroquerie, abus de confiance, recel, banqueroute, abus de biens sociaux, délit d’initié, infractions et comportements dangereux ), le droit administratif ( théorie générale de l’acte administratif et de la fonction administrative, théorie générale de la responsabilité administrative, l’organisation administrative, les critères de distinction des contrats administratifs et des contrats de droit privé, la police administrative, les services publics ), le droit commercial ( les actes de commerce, les commerçants et les sociétés commerciales, les effets de commerce et les moyens de paiement, le fonds de commerce et les contrats dont il peut faire l’objet, le redressement et la liquidation judiciaires, la propriété industrielle ), le droit social ( droit du travail, droit de la sécurité sociale ), le droit communautaire et européen ( les communautés européennes, les institutions européennes, les juridictions européennes, les actes des institutions européennes, la question préjudicielle, le droit communautaires des affaires, le droit communautaire professionnel ), la procédure civile ( l’action en justice, la procédure devant les tribunaux de grande instance et devant la cour d’appel en matière civile, les principes fondamentaux du procès civil, les mesures d’instruction, le jugement, la juridiction présidentielle, le référé et les ordonnances sur requête, les voies de recours ordinaires et extraordinaires, l’autorité de la chose jugée ), la procédure pénale ( l’action publique et l’action civile, la police judiciaire, l’enquête préliminaire et l’infraction flagrante, l’instruction préparatoire, la détention provisoire et le contrôle judiciaire, les preuves, le jugement, les voies de recours ordinaires et extraordinaires ), les procédures civiles d’exécution ( mesures conservatoires, saisie-attribution, saisie des rémunérations, saisie-vente, saisie immobilière, procédure de distribution des deniers ), la fiscalité et comptabilité ( impôt sur le revenu des personnes physiques et morales, taxes et redevances, le contentieux de la fiscalité, comptabilité privée ), les langues vivantes autres que le français ( allemand, anglais, arabe, chinois, espagnol, hébreu, italien, japonais, portugais, russe – une langue au choix ), un exposé-discussion d’admission ( libertés publiques et droits de l’homme…).


Une fois admis à l’examen d’entrée au CRFPA, et après une année d’études théorique et pratique, le candidat passe le Certificat d’Aptitude à la Profession d’Avocat ( CAPA ) et, s’il est admis, peut être inscrit sur la liste des avocats stagiaires après avoir prêté serment.


Normalement c’est la procédure qui devait être suivie au Maroc. Mais faute de promulgation du décret prévu à l’article 6 du dahir de 1993, le C.A.P.A est délivré par le Ministère de la justice, sans passer par aucun C.R.F.P, après un examen écrit et oral dont la date et les matières sont fixés par décret et ce contrairement à ce qui est prévu à l’article 6 qui dispose que le C.A.P.A. est délivré par les C.R.F.P.


Actuellement, légal ou pas légal, l’examen écrit comprend trois épreuves ayant trait au droit civil ( d’une durée de deux heures) , au droit pénal ( deux heures également ) et de culture générale ( trois heures ). L’examen oral ne peut être passé qu’une fois admis à l’examen écrit. Il comprend un examen sur le statut personnel, un examen sur la déontologie de la profession d’avocat.


De l’avis même des organisateurs de cet examen, des surveillants et des personnes chargées des corrections, le niveau des candidats est en général très bas nonobstant quelques exceptions, et le ministère est contraint la plupart du temps de procéder à des « rachetages » pour - disent-ils – contribuer à la lutte contre le chômage des diplômés ( sic ) comme si le chômage n’existe pas déjà au sein même de la profession. Cette vision courte ne fera qu’aggraver une situation déjà catastrophique.

En comparant les conditions draconiennes imposées de nos jours au concours d’entrée à l’Institut National des Etudes Judiciaires avec le C.A.P.A on peut vite s’apercevoir que le ministère se réserve la crème des promotions des diverses facultés de droit du Maroc (auxquelles il réserve une formation théorique et pratique que nous pouvons qualifier de convenable ) et contribue de manière directe à la dégradation de la profession d’avocat. Il en résultera dans le futur – si une étude sérieuse n’est pas menée dans ce sens et des solutions trouvées – à avoir des avocats médiocres devant des juges convenablement formés ( nous serons loin du niveau des juges qui ont condamné une personne pour homicide involontaire parce-qu’elle a tué un âne ; Cour Suprême, 20/1/1986, revue Al Miayâr, 7/8, p.104 ), ce qui est le contraire de ce qui existait dans le passé. Les intérêts des justiciables ne seront que superficiellement défendus et le service public que constitue la profession d’avocat sera des plus défaillants.


Le plus grave, c’est ce sentiment de désintéressement des différents organes des barreaux et à leur tête leur Association. Nous avons l’impression que personne n’est conscient de l’état dans lequel la profession d’avocat aujourd’hui au Maroc. La majorité se borne à ressasser les clichés déjà débattus depuis presque un siècle ici et ailleurs. On défend tout et n’importe quoi sauf la profession d’avocat.


Il est plus que temps de mettre sur pied les C.R.F.P.A qui assureront une formation théorique et pratique ( avec des stages au sein des banques, chez des experts comptables, à la bourse de Casablanca, chez des notaires, au sein des juridictions, etc…) des plus performantes et que les cabinets d’avocats inscrits au tableau prennent la relève avec le sens de responsabilité qui s’impose afin que le service public soit assuré dans le futur de manière adéquate. Il est vrai que la formation professionnelle qui sera dispensée par les C.R.F.P.A ne constituera qu’une initiation à la profession d’avocat et que la véritable formation s’acquiert sur le terrain, il n’empêche que cette initiation sera la base de toute formation future et facilitera au postulant une meilleure adaptation au monde judiciaire. De plus et durant l’année qu’il aura à passer au Centre, le candidat saura s’il a fait le bon choix ou s’il s’est trompé de voie. D’autre part, les C.R.F.P.A doivent avoir un second rôle qui consiste à contrôler les conditions dans lesquelles se déroule le stage, ce qui n’est nullement négligeable, assurer la formation continue des avocats inscrits au tableau et organiser la spécialisation des avocats.


Dans l’état actuel des choses, une fois admis, le candidat à l’inscription sur la liste du stage formule une demande écrite et l’adresse pendant le mois d’octobre ( de chaque année ), au bâtonnier de l’Ordre auprès duquel le postulant souhaite passer la période du stage ( art.11 ). Le même article précise que la demande doit être accompagnée des pièces suivantes :


1°) Les documents établissant que le postulant remplit les conditions prévues par l’article 5 du dahir portant loi de 1993. Ces documents doivent prouver que le candidat est de nationalité marocaine ou qu’il est ressortissant d’un Etat lié au Maroc par une convention reconnaissant aux nationaux des deux Etats le droit d’exercer la profession d’avocat dans l’autre, qu’il est majeur et qu’il jouit de ses droits civiques et civils, qu’il est titulaire de la licence en droit délivrée par une faculté marocaine de droit ou d’un diplôme reconnu équivalent d’une faculté étrangère de droit, qu’il est titulaire du C.A.P.A depuis moins de deux ans, de n’avoir pas été condamné à une peine judiciaire, disciplinaire ou administrative pour faits contraires à l’honneur, à la probité ou aux bonnes mœurs, de n’avoir pas été déclaré en faillite sauf s’il a fait l’objet d’une réhabilitation, d’être en position régulière à l’égard du service militaire et du service civil ( l’obligation du service civil instaurée en 1973 a été abrogée ) et avoir rempli tout engagement valablement contracté avec une administration ou un établissement public pour y servir pendant une durée déterminée, d’être en mesure d’exercer effectivement la profession avec toutes ses charges, de n’avoir pas dépassé quarante ans pour ceux qui ne sont pas dispensés du stage ;

2°) Un titre d’engagement émanant d’un avocat inscrit au tableau depuis au moins cinq ans par lequel il s’engage à veiller sur le stage du postulant dans son cabinet selon les règles professionnelles, sauf si le bâtonnier procède à la désignation de cet avocat en cas de nécessité.

L’article 72 du règlement intérieur du barreau de Rabat va plus loin encore et impose une ancienneté de 10 ans pour avoir un deuxième stagiaire et 15 ans pour avoir un troisième. L’article 69 du même règlement exige que l’avocat inscrit au tableau et amené à prendre en main le stagiaire soit à jour concernant ses obligations financières vis à vis de l’ordre et qu’il s’engage à verser à l’avocat stagiaire des émoluments honorables.
L’engagement produit par le postulant et émanant d’un avocat inscrit peut être rejeté si le cabinet de ce dernier est exigu ou si son activité professionnelle ne permet pas d’avoir des stagiaires ( art. 72 du règlement précité ).

Le conseil de l’ordre peut refuser tout engagement d’un cabinet qui ne réunit pas les conditions exigées et le postulant doit produire un autre engagement dans le délai de quatre mois. Sera considéré comme incomplet tout dossier dont le postulant ne présente pas un nouvel engagement dans le délai imparti et le conseil de l’ordre n’est nullement obligé de rendre une décision à son sujet. Le dossier incomplet est purement et simplement rendu à son titulaire ( art.71 du règlement intérieur du barreau de Rabat ).


Par ailleurs, l’article 68 du règlement intérieur du barreau de Rabat impose au postulant de produire les pièces et documents qui démontrent les conditions dans lesquelles le fonctionnaire, l’employé ou le salarié a quitté son emploi.


L’article 23 du dahir de 1993 stipule quant à lui que « les anciens magistrats ou les fonctionnaires d’autorité ou ceux ayant exercé des fonctions d’autorités ne peuvent être inscrits sur les listes de stage d’un barreau dans le ressort des cours d’appel où ils ont exercé leur fonctions qu’après l’expiration d’une durée de trois ans à partir de la date de cessation desdites fonctions ».


D’autre part, il était d’usage que le conseil de l’ordre remette au candidat une liste portant les noms et adresses du bâtonnier en exercice, des membres du conseil de l’ordre et des anciens bâtonniers pour qu’il leur rende visite. Cette pratique a été incluse dans le règlement intérieur du Barreau de Rabat dans son article 68 

3°). Le but de ces visites est de permettre d’avoir une idée sur le postulant, de le jauger en quelque sorte et -si besoin est- d’émettre des réserves sur son accès à la profession. Pour se faire, un entretien sérieux doit suivre duquel sortira un rapport rédigé et transmis confidentiellement au conseil de l’ordre. En fait, certains se bornent à apposer leur signature sur la liste remise au postulant sans même le recevoir ou s’ils le reçoivent sans même discuter avec lui.


Une fois en possession du dossier du candidat, le conseil de l’ordre procède à une enquête sur la moralité du postulant en utilisant tous les moyens qu’il considère adéquats ( art.11, al. 5 ). « Il n’est nullement obligé de recourir au parquet pour effectuer cette enquête » ( Cour d’appel de Tanger, décision n°159 du 2 février 1988, in El Bachir Baji, précité, p.34 ). En fait, le conseil de l’ordre désigne un rapporteur qui se contente généralement du casier judiciaire du candidat délivré par le tribunal de Première Instance ou d’une fiche de police qui démontre que le candidat n’a pas été condamné ou qu’il ne fait pas l’objet d’une poursuite. Il n’a nullement les moyens matériels et humains pour faire de véritables investigations. La visite imposée par l’article 68 peut cependant permettre, si elle est bien menée, d’avoir plusieurs rapports sur le candidat. La seule signature sur la liste n’est nullement convainquante.


Le conseil de l’ordre ne fournit aucun effort pour connaître si le postulant a les moyens de vivre loin de sa famille par exemple, s’il a un logement décent dans le ressort du conseil de l’ordre auprès duquel il demande à être inscrit, etc…Le résultat de cette négligence sur la ville de Rabat ou de Casablanca par exemple est décevant : une profession plus que saturée, des avocats stagiaires sans moyens, souffrant le martyr et dont certains s’adonnent à des pratiques qui sont loin d’être légales. Certains sont hors la loi avant même d’être inscrits au Tableau et une fois inscrits, un nombre considérable d’entre eux n’a aucun domicile professionnel.

D’autre part, le postulant doit joindre également à sa demande le reçu justifiant qu’il s’est acquitté des droits fixés par le conseil concernant l’inscription et la cotisation annuelle ( art. 68.4° du règlement intérieur du barreau de Rabat ).

Le droit d’inscription est au jour de la réalisation de cette étude de l’ordre de 35.000 dirhams si le postulant vient directement de l’université et de 70.000 dirhams s’il a déjà exercé dans le secteur public, semi-pubic ou privé.


La cotisation annuelle pour un avocat stagiaire s’élève à 600 dirhams. Il était d’usage que la cotisation annuelle ainsi que toutes les impenses du stagiaire au cours du stage, que ce soit pour les conférences, les congrès ou autres soient supportées par le maître du stage. Cet usage a l’air d’être oublié de nos jours ; il faut dire que les impenses étaient dans le temps symboliques.


La cour d’appel de Rabat - sur la base de l’article 85 du dahir de 1993 - a estimé à juste titre que les droits d’inscription sont laissés à l’appréciation souveraine du conseil de l’ordre et que le juge n’a aucun droit de contrôle sur les tarifs que fixe ce dernier ( Cour d’appel de Rabat, 24/1/2001, G.T.M n°88, p.155 ).


La Cour d’appel de Kénitra a considéré à tort que le Règlement Intérieur d’un barreau, qui ne peut être élevé au rang d’une loi, peut être sujet à discussion ( Cour d’appel de Kénitra, 25/7/2000, Al Ichâa, n°23, p.150 ). Le fait par le postulant d’avoir déjà exercé par le passé un travail dans la fonction publique, que ce travail soit temporaire ou permanent, ne permet pas de le placer sur le même pied d’égalité qu’un étudiant qui vient directement de la faculté.


Le conseil de l’ordre statue sur les demandes qui remplissent toutes les conditions concernant les documents et les éléments d’enquête dans un délai ne dépassant pas quatre mois.


Aucune décision de refus d’admission ne peut être prononcée sans que le postulant n’ait été entendu par le conseil de l’ordre ou appelé à se présenter dans un délai de quinze jours.


La décision portant admission ou refus d’admission au stage est notifiée au postulant et au procureur général du Roi dans les quinze jours de sa date et en l’absence de cette notification dans les 15 jours qui suivent les quatre mois impartis au conseil pour statuer, la demande est considérée comme rejetée ( art.11).


Toutes les parties concernées et le procureur du Roi à la cour d’appel ont le droit de recours contre les décisions rendues par le conseil de l’ordre. Ce recours est formé, par requête déposée au greffe de la cour d’appel dans les quinze jours de la notification ou de la date à laquelle la décision implicite est réputée avoir été prise ( art.90 du dahir de 1993 ).


La cour d’appel statue en chambre du conseil après avoir convoqué le bâtonnier et les autres parties afin d’écouter leurs observations et après avoir reçu les réquisitions écrites du procureur général du Roi ( art.91 ).

Le pourvoi en cassation contre les décisions rendues par la cour d’appel est soumis aux conditions, règles et délais ordinaires prévus par le code de procédure civile ( art. 93 ).

Ainsi, le pourvoi doit être diligenté par un avocat agréé auprès de la Cour Suprême, c’est à dire un avocat inscrit au Tableau depuis au moins dix années ( art.34 du dahir de 1993 ). Le délai du pourvoi est de 30 jours francs.


En cas de refus d’inscription sur la liste du stage, le postulant ne peut nullement formuler une nouvelle demande ou corriger la demande rejetée que le début du mois d’octobre de l’année qui suit l’année où la demande a été rejetée et après qu’il ai accompli de nouveau toutes les formalités prescrites par la loi de 1993 et le règlement intérieur ( art. 73-al.5 du règlement intérieur ).


Les postulants admis ne peuvent être inscrits sur la liste du stage et ne commencent à l’effectuer qu’après avoir prêté le serment suivant :


« Je Jure devant Dieu le tout-puissant d’exercer la défense et le conseil avec dignité, conscience, indépendance et humanité, dans le respect des juridictions, des autorités publiques et des règles du conseil de l’ordre auquel j’appartiens, ainsi que de ne rien dire ou publier qui soit contraire aux lois, aux règlements, aux mœurs, à la sûreté de l’Etat et à la paix publique » ( art.12 ).


Le fait d’inclure dans le serment le respect des juridictions et surtout des autorités publiques et l’engagement de ne rien dire ou publier qui soit contraire aux lois, aux règlements, aux bonnes mœurs, à la sûreté de l’Etat et à la paix publique », donne à ce serment une connotation politique tout à fait contraire à l’indépendance et au devoir de défense de l’avocat et démontre si besoin est que les droits de la défense ne sont pas encore naturellement perçus au Maroc.


Un avocat doit normalement accomplir sa mission dans le respect de tout le monde à commencer par l’adversaire de son client, de même qu’il est tenu de s’expliquer partout où il va avec modération mais aussi et surtout en toute indépendance. La formule du respect incluse dans le serment est mal placée que ce soit vis-à-vis des juridictions ou des autorités publiques.


Par ailleurs, le fait de vouloir museler l’avocat ( ne rien dire ni publier..) est contraire à la déclaration universelle des droits de l’homme ( art.19 ) et constitue une violation manifeste de la liberté d’expression.


Le serment de l’avocat ne doit aborder en fait que « la dignité », la « conscience », « l’indépendance », la « probité » et « l’humanité ». Pour être indépendant et exercer pleinement sa profession, un avocat ne doit pas être muselé à l’avance ni travailler avec un esprit servile. Un esprit dépendant ne peut jamais assurer la défense de l’autre, puisque lui-même est servile.


Le serment est prêté devant la Cour d’appel lors d’une audience spéciale à laquelle assiste le bâtonnier qui présente les postulants admis au C.A.P.A. C’est en fait la première fois que le postulant portera la robe d’avocat.


L’inscription sur la liste du stage s’effectue suivant la date de prestation du serment. Le conseil de l’ordre arrête la liste du stage et la publie annuellement avec le tableau ( art. 13 du dahir de 1993 ). Sur la liste du stage, le nom des stagiaires figurera à la suite des colonnes. En d’autres termes, et immédiatement après le Tableau contenant le nom des avocats honoraires et des avocats inscrits ( voir art.24-dahir 1993 ), figure la liste des avocats stagiaires. Le rang de l’inscription sur la liste du stage s’effectue – si les postulants sont nombreux à prêter serment le même jour – en fonction des données suivantes : 1°) La date de la demande d’inscription ; 2°) L’ancienneté du Certificat d’Aptitude d’exercice de la Profession d’Avocat ou C.A.P.A ; 3°) L’ancienneté de l’obtention de la licence ; 4°) L’ancienneté du titre équivalent ; 5°) La date de naissance ( article 74 du règlement intérieur du barreau de Rabat ).


Dans la pratique du barreau de Rabat, l’avocat stagiaire ne peut commencer à effectuer aucune activité à l’intérieur d’une juridiction ou au greffe qu’une fois présenté par l’avocat chargé du stage aux magistrats et aux confrères du barreau. Cette pratique a été reprise à l’article 74 du règlement intérieur mais n’est pas suivie à la lettre vu le nombre considérable des juridictions – et par conséquent des magistrats -de Rabat.

Le conseil de l’ordre délivre à l’avocat inscrit sur la liste du stage une carte d’identité professionnelle qui lui permet de justifier de sa qualité en cas de besoin.

Durant la période du stage, l’avocat stagiaire ne peut porter le titre d’avocat sans y ajouter la qualité de stagiaire. En France cette règle n’est plus de mise depuis le décret du 22 octobre 1985 ( voir aussi le décret du 27 novembre 1991- art.78 ). L’avocat inscrit sur la liste du stage est un avocat de plein exercice et participe même aux votes aux assemblées de l’ordre mais sans être éligible. Au Maroc, l’avocat inscrit sur la liste du stage ne peut ni voter ni assister aux assemblées générales des avocats.


La durée du stage est de trois années. Cette durée est absolue et ne peut être abrégée.


L’interruption du stage pour motif légitime ne peut dépasser trois mois. Le stage est dans ce cas prorogé pour une période équivalente ( art.16 du dahir de 1993 ). Si l’interruption de moins de trois mois n’est pas motivée, le stage est prorogé pour une période d’une année.


Si l’interruption sans motif légitime dépasse trois mois, le conseil de l’ordre procède purement et simplement à la radiation du postulant de la liste du stage. Cette radiation est obligatoire suivant les termes de l’article 17 du dahir de 1993 qui impose la radiation également en cas de violation des obligations du stage malgré sa prorogation.


La décision rendue par le conseil de l’ordre pour la prorogation ou pour la radiation intervient après avoir entendu l’intéressé ou à défaut après quinze jours de la notification de la convocation.


La loi est muette sur la question de savoir si un avocat ayant effectué une période déterminée du stage auprès d’un barreau peut terminer son stage auprès d’un autre barreau et être inscrit auprès de ce dernier. La pratique du barreau de Rabat l’admet mais le postulant doit régler la somme de 45.000,00 dirhams.


Pour un postulant étranger voulant s’inscrire sur la liste du stage, les frais d’inscription au barreau de Rabat sont de l’ordre de 80.000,00 dirhams.


L’avocat stagiaire, comme l’avocat inscrit au tableau n’a le droit de se présenter devant les institutions judiciaires ou disciplinaires qu’en portant la robe professionnelle ( art. 37 du dahir de 1993 ). Il en va de même lorsqu’il intervient professionnellement auprès d’un magistrat ou d’un service judiciaire.


L’avocat stagiaire doit assister en outre aux conférences du stage vêtu du costume professionnel ( art. 81 du règlement intérieur ).


Le costume professionnel du stagiaire est le même que celui de l’avocat inscrit au tableau. Il se compose d’une robe noire avec rabat, épitoge à un rang d’hermine et cravate en soie blanche . Le port du même costume souligne non seulement l’égalité d’apparence entre les membres du barreau mais aussi et surtout « l’autorité qui doit s’attacher à l’exercice d’un service aussi important que celui de la justice » ( Jacques Hamelin et André Damien, in Règles de la profession d’avocat, Dalloz ). Nous y reviendrons au moment d’aborder les droits et privilèges des avocats.


Durant le stage, l’avocat stagiaire peut se substituer à l’avocat qui veille sur son stage dans toutes les affaires ; la Cour Suprême a annulé un arrêt de la Cour d’appel de Rabat qui a déclaré irrecevable l’appel intenté par un avocat inscrit sur la liste du stage au nom de l’avocat chez qui il était en stage ( arrêt n°6532, 20 octobre 1983, Jurisprudence de la Cour Suprême, n°35/36, p.242 ). Toutefois, il ne peut :


1°) représenter ou assister les parties dans les affaires criminelles que ce soit en se substituant à l’avocat qui assure son stage ou dans le cadre de l’assistance judiciaire ;

2°) plaider devant les cours d’appel pendant la première année de son stage ;
3°) ouvrir un cabinet ou plaider en son nom personnel, sauf lorsqu’il est commis en matière d’assistance judiciaire ; ( art. 15 du dahir de 1993 ).

En effet, l’avocat stagiaire est parfois désigné par le bâtonnier dans le cadre de l’assistance judiciaire pour accomplir dans l’intérêt de la personne assistée tous les actes que comporte le mandat ad litem. Il ne peut nullement refuser de prêter son ministère sans faire approuver ses motifs d’excuse ou d’empêchement et des poursuites disciplinaires sont engagés contre celui qui persiste dans son refus malgré la non acceptation des excuses et empêchements par lui invoqués ( art.40, D.1993 ).


L’avocat stagiaire s’oblige à un travail effectif dans le cabinet de l’avocat qui veille sur son stage, à fréquenter les audiences des tribunaux et à assister aux conférences du stage et participer à leurs travaux ( art.14 du dahir de 1993 ).


L’obligation d’assister aux audiences et aux conférences est stricte et dure tant que l’avocat est inscrit sur la liste du stage. La présence aux audiences a pour but de faire comprendre au stagiaire ce que c’est que la plaidoirie et le familiariser avec la Barre en écoutant plaider les anciens.


En principe, la conférence du stage traite non seulement des problèmes déontologiques, des matières diverses du droit mais aussi de l’art de la plaidoirie, la manière de gérer un cabinet d’avocat, les langues vivantes, etc ... Le législateur est muet sur l’organisation des conférences du stage et sur l’élection du secrétaire de la conférence. C’est à chaque barreau de puiser dans sa tradition pour réglementer de telles conférences.


Le barreau de Rabat dans son règlement intérieur a transcrit l’usage aux articles 80 et suivants. La conférence du stage est tenue à la date et à l’heure fixée par la bâtonnier qui informe les avocats inscrits à la liste du stage par un avis affiché au secrétariat de l’ordre. Le bâtonnier préside la conférence du stage mais peut déléguer un membre du conseil de l’ordre qu’il nomme directeur de la conférence ( art.82 ).


Si le nombre des avocats inscrits sur la liste du stage dépasse cinquante, il sied au bâtonnier de les répartir en groupes en fonction de leur ancienneté.


La présence aux conférences du stage est obligatoire. Le port du costume professionnel ne l’est pas moins ( art.82 R.I ). Il résulte de l’absence à trois conférences sans motif légitime la prorogation du stage. La tradition veut que la constatation de la présence des avocats stagiaires se fasse par leurs signatures sur un registre spécial. Cette pratique de la signature, abandonnée depuis longtemps, a été reprise dernièrement par le barreau de Rabat.


Concernant l’élection du secrétaire de la conférence, l’article 80 du règlement intérieur stipule ce qui suit :

« Le conseil de l’ordre organise annuellement un concours pour la désignation d’un ou des secrétaires de la conférence du stage. Le concours a lieu au mois de janvier de chaque année entre les avocats stagiaires à l’exception de ceux qui ont fait l’objet de peines disciplinaires ou de ceux qui ne sont pas à jour de leurs cotisations professionnelles ou de ceux dont le stage a été prorogé.

« Le conseil de l’ordre choisit un ou plusieurs sujets pour le concours, pose les conditions de son déroulement et désigne le ou les gagnants « secrétaire » ( es ) de la conférence du stage, pour l’exercice suivant, parmi ceux qui ont produit les meilleures prestations en les classant et en désignant –si besoin est- des vices secrétaires. Le règlement intérieur est silencieux sur le mode de scrutin de l’élection du Secrétaire et du vice-secrétaire de la Conférence du stage. Normalement c’est la majorité absolue au premier tour et la majorité relative au second tour qui doivent être retenues. Le secrétaire de la conférence désignée à la suite des élections sera chargé du discours de la rentrée de la Conférence du stage à laquelle est généralement convié le ministre de la justice, le premier président et le procureur général de la cour d’appel ainsi que le reste du corps de la magistrature du ressort de la cour d’appel et les avocats inscrits au tableau et sur la liste du stage. L’avocat chargé du discours de rentrée choisira lui-même le sujet et le soumettra à l’agrément du bâtonnier ; ce dernier s’il l’estime à propos pourra lui-même fixer le sujet. Un Prix est remis au secrétaire de la conférence et le discours ainsi prononcé est généralement publié à la revue du barreau.


D’autre part, et durant son stage, l’avocat stagiaire ne peut changer de cabinet qu’avec l’autorisation du bâtonnier qu’il doit informer du nom de l’avocat chez qui il a l’intention de terminer son stage et de tout changement dans sa situation en produisant à chaque fois un rapport émanant de l’avocat dont il va quitter le cabinet sur la période qu’il a passé et en joignant à sa demande l’engagement du nouvel avocat ( art. 76 du règlement intérieur ).


Tout différend entre l’avocat inscrit au tableau et l’avocat inscrit sur la liste du stage est soumis, quelque soit sa nature, au bâtonnier ( art.70-2 du règlement intérieur ).

D’autre part, l’avocat stagiaire ne peut nullement être considéré comme salarié ( art. 68 du règlement intérieur ).

Par ailleurs et même si la loi prévoit que l’avocat en stage ne peut le faire que chez un confrère ayant 5 années d’ancienneté en tant qu’avocat inscrit au Tableau ( art.11-2 dahir 1993 ), divers problèmes surgissent et auxquels se heurte l’avocat stagiaire que ce soit au sein du Cabinet où il est en stage, au sein des palais de justice ou lors des Conférences du Stage.


Au sein du cabinet, les problèmes se résument sur le plan matériel et sur le plan professionnel. Si le premier volet est clair et n’a nullement besoin d’être développé, vu le manque de moyens des avocats inscrits qui prennent en charge les stagiaires, par contre le deuxième mérite qu’on s’y attarde quelque peu. En effet, l’encadrement de l’avocat stagiaire que ce soit au sein du cabinet ou lors des conférences du stage est défectueux. Au sein du cabinet, le stagiaire est souvent mal encadré, mal orienté et il est souvent utilisé comme coursier du cabinet et non comme un futur avocat dont on assume la responsabilité de la formation. Rares sont les Cabinets qui responsabilisent le stagiaire en lui permettant non seulement de consulter les dossiers mais d’apprendre à rédiger, à plaider, à tenir le livre journal, à tenir une comptabilité, à faire un bilan, à recevoir un client, etc…Certains, arrivés en fin de stage, ne sont même pas capables de rédiger correctement une correspondance à un confrère, à une société, à une administration... Le plus souvent, la cause vient du stagiaire lui-même qui n’est nullement motivé et qui le démontre dès le premier jour. Il est là car il n’a trouvé nulle part où aller et l’avocat a beau vouloir le stimuler, le responsabiliser et le motiver mais sans résultat. Certains se demandent même pourquoi « ils sont là »…D’autres, après des années de leur inscription au Tableau en tant qu’avocats titulaires cherchent toujours un travail ailleurs, plus stable, moins pénible et ne comportant pas autant de risques que celui de l’avocat. « Ils ne se sentent pas chez eux ». Mais d’autres ont délaissés des postes de responsabilité, de hauts salaires, des carrières stables et sans risques et se sont « engagés » corps et âme dans le métier ingrat qui est celui de l’avocat. Des fois, la cause provient de l’avocat chargé de la formation du stagiaire. Encombré, mal équipé et même mal préparé à être un formateur et un encadreur, il laisse l’avocat stagiaire livré à lui-même s’il ne l’utilise pas à des fins autres que ceux dont il a la charge.


Au sein des juridictions, la responsabilité des juges peut être également mise en cause. Le juge doit guider l’avocat en stage, le conseiller, - si besoin est - et ne le rappeler à l’ordre qu’en cas d’extrême nécessité et en passant par le maître du stage. Grâce au juge, la personnalité de l’avocat stagiaire se forme et se développe. Les brimades de certains juges, leur façon de montrer qu’ils ne s’intéressent nullement aux plaidoiries des débutants fait en sorte que l’avocat en stage perd cette confiance dont il a tant besoin et perd par conséquent confiance dans la profession et dans l’appareil judiciaire tout entier.


Au service du greffe, certains agents du greffe trouvent un malin plaisir à jouer au chat et à la souris avec les avocats inscrits sur la liste du stage. L’avocat en stage assume une grande responsabilité lorsqu’il s’adresse au greffe pour le prononcé d’un jugement correctionnel par exemple dont les délais ne courent pas à compter de la notification. L’agent du greffe doit assumer la sienne et prêter assistance à l’avocat en stage.


Les Conférences du Stage dont la responsabilité incombe au Conseil de l’Ordre n’ont aucun programme pré-établi. Chaque avocat, chargé par le bâtonnier de la Conférence pour un groupe, choisit généralement un sujet théorique ou une procédure et fait un cours dont les stagiaires peuvent généralement se passer. A part le côté procédural qui est très utile pour le stagiaire, presque personne n’assure un cours sur la déontologie, l’art de la plaidoirie, sur la manière de gérer un Cabinet, de tenir un livre journal, une comptabilité, comment se calculent les honoraires, quels sont les dangers de la mondialisation sur le cabinet classique et quels sont les avantages à se constituer en société, etc.. Personne ne leur parle comment doivent être leurs relations avec leurs confrères stagiaires ou titulaires, avec le bâtonnier, avec les magistrats, avec les différents services du greffe, avec la clientèle ? etc…En un mot le stagiaire est livré à lui-même et mal encadré. Le résultat c’est que nous enfantons des « avocats » médiocres qui vont constituer dans le futur de véritables « dangers » pour leurs clients et par conséquent pour la profession toute entière.

La responsabilité de cet état de fait, est certes partagée, entre les différents ministères de l’enseignement ( que ce soit au primaire, au secondaire ou au supérieur et qui assurent un enseignement qui ne prépare nullement le postulant comme il se doit, le jetant ainsi dans un marché déjà sclérosé ), le ministère des « affaires judiciaires », en général ( qui tarde à mettre en marche les Centres de Formation Professionnelle; qui inculque aux juges une idées pré-conçue sur l’avocat et qui hésite encore à imposer un véritable monopole de la profession ), le Conseil de l’Ordre ( qui n’a aucun programme pré-établi pour les Conférences du Stage et ne se préoccupe nullement des conditions dans lesquelles se déroule le stage malgré les efforts louables déployés depuis quelques années pour assurer une formation continue dans divers domaines du droit : arbitrage, tribunaux de commerce, tribunaux administratifs, etc..) et le Cabinet de l’avocat qui ne veut pas ou ne sait pas encadrer le stagiaire.


Une auto-critique s’impose aujourd’hui plus que jamais pour connaître les causes de l’échec de la formation afin d’aboutir aux solutions qui feront de l’avocat marocain de demain un véritable conseiller juridique et un grand défenseur qui n’aura rien à envier aux avocats internationaux et qui n’aura plus rien à craindre de cette mondialisation, épouvantail pour tout tiers-mondiste. Ne rien entreprendre dans ce sens serait condamner dans le futur, la profession toute entière pour les nationaux.


Les avocats stagiaires, à la fin du stage, normal ou prorogé, ainsi que les postulants dispensés du C.A.P.A et du stage ( voir plus bas ), sont inscrits au tableau en vertu d’une décision rendue par le conseil de l’ordre après avoir effectué par tous les moyens qu’il considère appropriés une enquête suffisante sur la moralité du postulant et sur sa situation pour s’assurer qu’il n’y a pas d’obstacle empêchant son inscription ( art.19 du dahir de 1993 ).


L’avocat stagiaire doit présenter une demande écrite d’inscription au tableau dans un délai d’un mois à compter de la fin du stage et régler les frais d’inscription ( 5.000,00 dirhams ) et le conseil de l’ordre a l’obligation de statuer sur cette demande dans un délai de quatre mois à compter du dépôt de la demande et aucune décision de rejet ne peut être prise sans que l’intéressé ait été entendu ou à défaut 15 jours après la notification de la convocation.


La demande doit préciser le choix arrêté par le candidat ( avocat collaborateur ou désirant ouvrir son propre cabinet ou voulant exercer en cohabitation ou en association ) et être accompagné du reçu qui prouve le règlement des droits d’inscription au tableau ou de cotisation à l’ordre ( art.88 R.I )


Les décisions portant inscription au tableau ou refusant cette inscription sont notifiées au procureur général du Roi dans les quinze jours de leur date.


Les demandes sont considérées comme rejetées si les décisions les concernant n’ont pas été notifiées dans la quinzaine de l’expiration de la date prévue pour statuer (art.20- D.1993 ).


Nous avons vu que pour avoir accès à la profession d’avocat, le législateur exige en plus du C.A.P.A un stage d’une durée de trois années. Mais cette règle n’est pas absolue et l’article 18 du dahir de 1993 dispense et du C.A.P.A et du stage les personnes suivantes :


1°) Les anciens magistrats du 2ème grade ou d’un grade supérieur non titulaires d’une licence en droit et qui ont été admis à faire valoir leurs droits à la retraite ou ont démissionné ;

2°) Les anciens magistrats ayant exercé les fonctions judiciaires pendant au moins huit ans après l’obtention de la licence en droit et dont la démission a été acceptée ;Il faut cependant rappeler la contrainte imposée par l’article 23 pour la durée des trois ans avant de pouvoir s’inscrire dans le ressort d’une cour d’appel où exerçait le magistrat et l’exception accordée aux anciens magistrats de la cour suprême.
3°) Les anciens avocats ayant déjà été inscrits pendant cinq ans au moins sans interruption au tableau d’un ou de plusieurs barreaux du Maroc ou d’un ou de plusieurs barreaux des Etats étrangers ayant conclu avec le Maroc une convention internationale aux termes de laquelle les nationaux de chacun des Etats contractants ont accès dans l’autre Etat à la profession d’avocat ;
4°) Les professeurs de l’enseignement supérieur justifiant de huit ans d’enseignement dans une faculté marocaine de droit, postérieurement à leur titularisation et après leur démission ou retraite.

Le législateur pourra peut être inclure dans la réforme en cours la possibilité de l’inscription au barreau pour les dispensés du C.A.P.A et du stage qui ont demandé et obtenu leur mise en disponibilité sans solde. La démission étant en effet un acte grave qui coupe tout lien entre l’intéressé et l’administration et le barreau n’étant généralement pas ce jardin d’éden que semble croire certains, il serait malheureux de ne pas tenir compte de l’état dans lequel sera cet ancien fonctionnaire s’il échoue dans la profession d’avocat.


Pour les personnes dispensées du C.A.P.A et du stage, les frais d’inscription au tableau s’élèvent à 100.000,00 dirhams s’il s’agit de nationaux et à 160.000,00 dirhams s’il s’agit d’étrangers.


Les demandes des postulants sont présentées pendant les mois de février, juin et octobre de chaque année, appuyées de justifications établissant qu’ils remplissent les conditions prévues pour l’inscription directe au tableau.


Le conseil de l’ordre statue sur les demandes d’inscription au tableau, après avoir réuni les éléments d’enquête dans un délai de quatre mois suivant la date du dépôt de la demande.


Le conseil de l’ordre refuse l’inscription après avoir entendu l’intéressé ou à défaut après quinze jours de la remise de la notification lorsque celui-ci est appelé et s’abstient d’assister.


Les décisions portant inscription au tableau ou refusant cette inscription sont notifiées au procureur général du roi dans les quinze jours de leur date.


Les postulants dispensés du C.A.P.A et du stage prêtent le serment légal dans les mêmes conditions que décrites précédemment et leur inscription au tableau s’effectue à compter de la date de la prestation du serment ( voir art.12, 21 et 22 ). La question peut être posée concernant les anciens avocats ayant exercé pendant cinq ans au moins et quitté la profession ; doivent-ils prêter le même serment à nouveau ?. La réponse doit être négative à notre avis.


Par ailleurs et sans revenir à la discussion sur l’âge de l’avocat qui débute et si on peut considérer que la dispense du C.A.P.A et du stage peut être admise pour les professeurs de l’enseignement supérieur justifiant de 8 ans d’enseignement dans une faculté de droit et pour les magistrats -titulaires de la licence en droit - ayant effectué les deux années de l’I.N.E.J et exercé les fonctions judiciaires pendant au moins huit ans – après leur démission ou retraite-, nous estimons, par contre, qu’un séjour au sein du cabinet d’un avocat inscrit au tableau est indispensable à un magistrat et à un professeur universitaire. Pour le magistrat, la gestion d’un cabinet d’avocat a ses règles propres qui ne peuvent s’acquérir qu’au sein d’un cabinet ayant un certain recul. Pour le professeur universitaire, un monde sépare en effet, la théorie de la pratique.


En France, les docteurs en droit qui sont dispensés de l’année du C.R.F.P.A, sont par contre, contraints de passer le C.A.P.A ( art.55 et 68 du décret du 27 novembre 1991 ) et d’effectuer le stage. En effet, c’est au cours du stage et non sur les bancs des facultés que l’avocat apprend tout ce qui lui sera utile durant sa vie professionnelle et se familiarise avec le monde judiciaire et la gestion d’un cabinet d’avocat.


Les professeurs universitaires justifiant de huit années d’enseignement supérieur sont dispensés et du C.A.P.A et du stage mais nombre d’entre eux n’arrivent à s’adapter au monde du barreau qu’après plusieurs années de pratique professionnelle. Parfois l’adaptation est difficile, voir impossible. La preuve en est que plusieurs enseignants d’ici sont inscrits au tableau sans avoir de domicile professionnel et sans même exercer. Nous ne les connaissons que par leurs noms figurant sur le tableau. Ils ne sont présents, ni physiquement ni par leurs requêtes, mémoires ou autres, au sein des juridictions ou lors des activités de l’ordre. Certains ont essayé mais ont trouvé qu’il y a un fossé entre la théorie et la pratique. Au bout d’un certain temps, ils ont purement et simplement abandonné. Ceci n’empêche pas d’autres de réclamer la suppression de la condition de la démission ou de la retraite imposée à l’article 18-4 aux professeurs de facultés qui désirent rejoindre la profession d’avocat. Ils veulent cumuler les deux fonctions et avoir un pied dans le secteur public et un autre dans la profession libérale. Certains considèrent que ceci est inadmissible vu la chance que les professeurs ont d’avoir un emploi stable, bien rémunéré - avec toutes les couvertures sociales- au regard des milliers de licenciés en droit qui n’arrivent même pas à décrocher un emploi au SMIG. Ouvrir les portes de la profession d’avocat – déjà saturée – aux fonctionnaires de l’Etat pour qu’ils fassent le cumul reviendrait à la fermer aux jeunes diplômés qui sont réellement motivés. Ceci constituerait une sorte de concurrence déloyale qui n’a plus de raison d’être dans le Maroc d’aujourd’hui où les facultés de droit déversent chaque année des milliers de licenciés en droit qui font le pied de grue devant le Parlement à réclamer un travail comme si les parlementaires détiennent les clés de l’économie.


A notre avis, la dispense qui leur est accordée concernant l’âge limite d’accès est largement suffisante mais à condition qu’ils libèrent leurs postes budgétaires au profit d’autres docteurs en droit qui en ont grand besoin. On peut même leur préserver cette dispense légale du stage mais, en pratique, ils auront intérêt à faire un séjour d’au moins une année avant d’ouvrir leur cabinet. Ils ont beau dire que les avocats sont leurs étudiants avant tout – ce que personne ne leur renie – mais l’avocat a été aussi l’élève de l’instituteur, du professeur du premier et du deuxième cycle et ce n’est pas pour autant que ces derniers réclament à être avocats en gardant leurs postes budgétaires. Il serait peut être plus utile de penser à ce que les professeurs de droit, ayant plusieurs années d’enseignement supérieur, viennent renforcer le corps des magistrats soit à temps plein soit à mi-temps. Un système de passerelles entre le ministère des affaires judiciaires et le ministère de l’enseignement supérieur devra être défini si l’idée est retenue. La société toute entière y gagnerait.


 
4-Le secret professionnel de l'avocat

L’être humain de par sa nature est sociable et ne peut vivre par conséquent qu’en société. Et du moment qu’il s’agit d’un membre qui a décidé de vivre au sein d’une société organisée, les aléas de la vie sociale créent des déséquilibres et même des inégalités qui sont à même de menacer et même de porter atteinte à ses droits ou aux droits des autres. Certes, on est rarement un bon avocat de soi-même et c’est de là qu’est né le métier d’avocat. Le rôle de celui-ci est donc de défendre les intérêts de ceux dont les droits sont menacés ou dont les droits ont été piétinés.

Pour mener à bien sa mission, l’avocat a besoin d’entendre les dires de son client ou en d’autres termes la confession de ce dernier. L’avocat doit savoir pour conseiller et défendre. Voilà un client dont la fille vient d’être violée par son beau père et qui vient demander de l’aide à son avocat ; voici un autre pour un cas d’adultère, la troisième dont l’époux lui a transmis le sida, le quatrième dont le comptable de la société a fait une razia et ainsi de suite, les malheurs de la vie ne s’arrêtant jamais. Tous ces clients se confient à l’avocat parce-qu’ils savent que ce dernier ne divulguera pas ce qui lui a été confié. L’avocat devient dépositaire de leurs secrets. Il devient donc responsable tant sur le plan professionnel que sur le plan pénal vis à vis du client et vis à vis de la société. Et c’est à partir de là qu’est née la théorie de l’obligation du secret professionnel d’abord chez les médecins - Hippocrate ( médecin grec 460-370 av J-C ) disait « Admis à l’intérieur des maisons, mes yeux ne verront pas se qui s’y passe, ma langue taira les secrets qui me seront confiés… ; ou encore « Les choses que dans l’exercice, ou même hors de l’exercice de mon art, je pourrais voir ou entendre sur l’existence des hommes et qui ne doivent pas être divulguées au dehors,je les tairais[1]», puis chez les clercs et chez les avocats.



Par la suite le secret a été étendu à d’autres professions : chirurgiens, pharmaciens, sages-femmes, etc…Il faut cependant remarquer que le secret professionnel de l’avocat est un de ceux « qui a le mieux résisté jusqu’à présent, peut être en raison des mentalités traditionnelles du barreau »[2] par rapport notamment au secret médical qui commence à s’effriter devant le nombre considérable de cas que les médecins ont l’obligation de déclarer ( aux environs de 50 et entre autres : naissance, mort, viol, avortement, peste, choléra, fièvre jaune, lèpre, scarlatine, sida, etc…).

La Charia islamique n’a pas été en reste concernant le secret en général qui a été entouré d’un intérêt certain. Le prophète a dit : « Trois seront toujours des hypocrites même s’ils font le ramadan et la prière et prétendent être des musulmans : celui qui lorsqu’il parle ment, celui qui promet et se rétracte et celui en qui on a placé sa confiance et qui a trahi »[3]. Comme il a dit « La discussion entre vous est un dépôt - (amana)»[4].

Par ailleurs, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948 a affirmé clairement la nécessité du respect de la vie privée dans son article 12 qui dispose que « nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes».

En outre, le code pénal du 26 novembre 1962 dans son article 446 dispose que « les médecins, chirurgiens ou officiers de santé ainsi que les pharmaciens, les sages femmes ou toutes autres personnes dépositaires, par état ou profession ou par fonction permanentes ou temporaires, des secrets qu’on leur confie, qui hors le cas où la loi les oblige ou les autorise à se porter dénonciateurs, ont révélé ces secrets, sont punis de l’emprisonnement d’un mois à six mois et d’une amende de 200 à 1000 dirhams. »

L’article 36 du dahir du 10 septembre 1993 organisant l’exercice de la profession d’avocat dispose quant à lui que « l’avocat, en toute matière, ne doit commettre aucune divulgation contrevenant au secret professionnel »

 La tradition du barreau de Rabat considère le secret professionnel comme un devoir impérieux pour l’avocat et l’impose à ce dernier comme étant de l’essence même de sa profession. Cette tradition a été reprise par l’article 29 du règlement intérieur du Barreau de Rabat qui dispose que « l’avocat est tenu d’une manière absolue au secret professionnel. Il lui est interdit de remettre à autrui les documents qui lui ont été confiés par son client ou de faire une déclaration – quelle qu’elle soit – dans l’intérêt ou contre le client ».

Enfin l’article 12 du dahir du 10 septembre 1993 a fait jurer à l’avocat « d’exercer la défense dans le respect des règles du conseil de l’ordre …et de ne rien dire ou publier qui soit contraire aux lois et aux règlements ».

Le secret professionnel de l’avocat est donc régi par la morale en premier lieu, par la religion, par la déclaration des droits de l’homme à laquelle le Maroc a adhéré, par le Code Pénal ( art.446 ), par les articles 12 et 36 du dahir du 10 septembre 1993 organisant l’exercice de la profession d’avocat, par l’article 29 du Règlement Intérieur du Barreau de Rabat, par la tradition de ce dernier et par l’article 79 du D.O.C.

Le secret professionnel fût donc au départ une obligation morale, puis une obligation religieuse avant d’être protégé par la loi pour connaître par la suite tout un débat doctrinal qui divisait deux tendances : la tendance contractuelle[5] et la tendance de l’ordre public d’Emile Garçon[6]. La première considère que l’obligation au secret professionnel ressort de la relation contractuelle entre l’avocat et son client. Les uns voyaient là un contrat de dépôt[7]; d’autres considéraient qu’il s’agissait d’un contrat de mandat tandis-que les derniers considéraient l’obligation au secret professionnel de l’avocat comme la résultante d’un contrat innomé[8].
 
Dans cette étude nous n’allons pas développer les thèses des uns et des autres puisque le devoir professionnel dépasse le cadre des obligations contractuelles. Par contre nous estimons utile de nous arrêter quelque peu sur la notion de l’ordre public soulevée par Emile Garçon. En effet, l’obligation du secret professionnel de l’avocat n’a été établie ni dans l’intérêt de l’avocat en tant que tel, ni même dans l’intérêt de son client mais plutôt dans l’intérêt de l’ordre public. Et si la loi pénale et la loi disciplinaire punissent la violation du secret, c’est parce que l’intérêt général l’exige et non parce que cette violation a causé un préjudice à un particulier.

La violation du secret ne blesse donc pas seulement la personne qui s’est confiée à l’avocat mais la société toute entière car elle enlève à des professions sur lesquelles la société s’appuie, la confiance qui doit les entourer.


En effet, « le bon fonctionnement de la société veut que le malade trouve un médecin, le plaideur un défenseur, le catholique un confesseur, mais ni le médecin, ni l’avocat, ni le prêtre ne pourraient accomplir leur mission si les confidences qui leur sont faites n’étaient assurées d’un secret inviolable. Il importe donc à l’ordre social que ces confidences nécessaires soient astreints à la discrétion et que le silence leur soit imposé sans conditions ni réserves car personne n’oserait plus s’adresser à eux si l’on pouvait craindre la divulgation du secret confié »
[9].

C’est dans cet esprit que le législateur pénal est intervenu car la violation du secret professionnel trouble directement l’ordre public et ne porte atteinte aux intérêts du client que d’une manière indirecte. Et c’est la loi pénale qui protège l’obligation du secret professionnel qu’il y ait ou non préjudice pour le client.


En effet, si la société autorise l’avocat à s’immiscer dans la vie privée du client et à s’introduire dans son intimité afin de mieux cerner son problème et pouvoir mieux défendre ses intérêts, elle lui interdit en contrepartie la divulgation de cette intimité. Et c’est cette interdiction qui donne au client de l’avocat cette confiance et cette assurance de s’ouvrir et de faire des confidences.


Pour paraphraser le professeur Bernard Hoerni sur le secret médical dans le livre « Secrets professionnels » je dirai qu’il n’y a pas de défense sans confidences, pas de confidences sans confiance et pas de confiance sans secret. Le secret professionnel de l’avocat se justifie donc par l’obligation de discrétion et de respect dus au client par l’avocat qui s’immisce dans sa vie la plus intime.

Le secret professionnel n’est pas un privilège de l’avocat mais bel et bien une servitude au service de l’institution judiciaire, de la légalité et de l’Etat de droit en général. Cette servitude repose sur les qualités de l’homme qui sont présumées, sur le serment qu’il a prêté, sur la confiance que lui témoigne l’ordre auquel il appartient et sur la confiance que lui témoigne la société toute entière.


L’obligation du secret professionnel est d’ordre public et ne souffre aucune exception sauf vis à vis du bâtonnier ou de la personne qui le représente ( art. 29, al.5 du Règlement intérieur ).


La conséquence de l’ordre public est que la poursuite pénale du parquet n’est nullement subordonnée à la plainte de la victime ou au préjudice subi par cette dernière et qu’il n’appartient à personne d’affranchir l’avocat de son obligation même pas son client.


L’arrêt de la Cour de Cassation française du 11 mai 1844 tranche dans ce sens :


« Attendu que l’avocat a toujours été tenu de garder un secret inviolable sur tout ce qu’il apprend à ce titre ; que cette obligation absolue est d’ordre public et qu’il ne saurait dès lors appartenir à personne d’en affranchir celui qui l’a contractée »
[10].

Un arrêt de la Cour d’assises de Lot-et-Garonne du 15 décembre 1887 explique mieux le caractère absolu du secret professionnel : « Attendu que cesser de faire du secret professionnel une obligation absolue pour le convertir en obligation relative, c’est le détruire en ouvrant la porte aux appréciations les plus arbitraires au cas où sa violation serait permise parce qu’elle serait utile et opportune »
[11].

Le Conseil de l’Ordre de Paris dans une décision du 8 mars 1887 s’est exprimé en ces termes : « L’avocat peut se taire malgré l’autorisation de parler que lui donne son client. Celui-ci n’est donc pas seul juge de son propre intérêt. Son avocat en est l’appréciateur suprême. L’autorisation du client est nécessaire ; elle n’est pas suffisante ». Cette position fût consacrée implicitement par la Cour de Cassation française qui, dans un arrêt du 24 mai 1962, disposa que « l’avocat est fondé à refuser son témoignage sur des faits qu’il a connu à raison de son ministère ». Cette règle ne souffre aucune exception, quand bien même l’avocat apprendrait que son client a enfreint la loi, même pénale.

L’obligation du secret professionnel qui touche à l’ordre privé de la personne et à l’ordre public en général peut soulever des difficultés dans ses applications pratiques. Pour pouvoir cerner ces difficultés, il appartient d’abord d’examiner ce qu’est le secret professionnel de l’avocat, son étendue et les personnes qui sont concernées.


Disons d’emblée que le secret professionnel est absolu ( dans son principe ), d’ordre public et couvre tout ce que l’avocat a appris ou surpris dans l’exercice de sa profession. L’obligation du secret ne couvre donc pas seulement les aveux ou les confidences du client mais tout ce que l’avocat a pu connaître à travers des écrits qu’il a lues ( documents divers, correspondances, etc…) , les consultations qu’il a fournies, les appréciations qu’il a formulées et les honoraires qu’il a perçus . « Le fait même de la visite du client peut parfois être un indice et ne doit pas alors être divulgué ».


L’avocat cité comme témoin doit refuser de témoigner sur des faits qu’il a connus au cours de l’exercice de son métier même s’il en est relevé par son client et l’interdiction est absolue que ce soit en matière civile, criminelle, fiscale ou autres. Mais l’avocat qui apprend dans l’exercice de son métier l’imminence d’un acte criminel doit-il le dénoncer aux autorités ou doit-il garder secrètes les confidences de son client ?. C’est la contradiction entre les dispositions de l’article 446 et les articles 209 et 299, du code pénal par exemple ou de l’article 8-218 de la loi sur la lutte contre le terrorisme ( Dahir du 28 mai 2003, B.O n°5112, 29 mai 2003, p. 1755 ). La question est donc délicate et la réponse ne peut être que délicate aussi. Mais certains auteurs estiment que la loi pénale prime la loi professionnelle
[13]. Mais là encore l’incrimination de la violation du secret professionnel est contenue non seulement dans la loi particulière du barreau mais est sévèrement réprimée par la législation pénale ( art.446 et autres ). Alors que faire ?. Les avis restent partagés et l’évolution des esprits va vers l’obligation de dénoncer sauf évidemment si l’avocat n’a appris le crime qu’après sa commission.

Par ailleurs le secret ne cesse pas à la demande des héritiers du client qui l’avait confié à l’avocat ni par le changement de la profession de ce dernier, ni par sa retraite ni par son décès.


D’une manière générale, l’obligation du secret s’étend à tout ce que l’avocat a entendu, lu ou vu à l’occasion de l’exercice de sa profession. Il n’est nullement nécessaire de chercher si les faits frappés du sceau du secret soient à même de porter préjudice au client de l’avocat s’ils sont divulgués.


La Cour d’appel de Bruxelles a rendu en date du 18 juin 1974 un arrêt fort éloquent là dessus : « L’avocat est rigoureusement tenu de garder secret ce qui lui a été confié. Sous aucune forme, sous aucun prétexte, à aucune époque, il ne peut trahir ce secret. Le secret de l’avocat trouve son fondement dans la nécessité pour ceux qui exercent cette profession de donner les indispensables garanties de confiance, dans l’intérêt général, afin que tous ceux qui s’adressent à eux aient la certitude qu’ils peuvent révéler leurs secrets sans danger qu’ils les divulguent à des tiers »
[14].

Le secret professionnel appartient donc au client et quelque soit l’intérêt du ce dernier, il n’est pas loisible à l’avocat de laisser échapper un secret qui ne lui appartient pas. Il a intérêt par conséquent à être amnésique vis à vis d’autrui sur tout ce qu’il a lu, vu ou entendu à l’occasion de l’exercice de son ministère.

Les éléments constitutifs de l’infraction de l’article 446 du code pénal sont au nombre de cinq :

1°) Un fait révélé ;

2°) Le fait révélé doit être un secret ;
3°) La qualité de la personne qui a révélé le secret ;
4°) Le coupable doit avoir reçu le secret dans l’exercice de sa profession
5°) L’intention coupable.

La révélation peut se faire verbalement, par écrit et par n’importe quel moyen de communication : lettres ; notes ; par voie de presse ; par téléphone ; télégraphe ; par internet, etc..


 Mais il faut souligner que le secret professionnel de l’avocat s’il est absolu dans son principe il le reste relatif dans son étendue à l’opposé du secret de la confession chez les chrétiens qui est absolu par exemple. Il appartient donc à l’avocat – en son âme et conscience - de déterminer les confidences qu’il doit exposer au cours de la défense de celles qu’il doit taire. En effet, à l’opposé des confidences que le prêtre doit garder pour lui et ne divulguer sous aucun prétexte, les confidences qui sont faites à l’avocat le sont dans un but précis : comprendre un cas humain et éventuellement les exposer devant un tribunal. Et c’est dans ce sens que l’article 69 de la loi Egyptienne sur la profession d’avocat dispose que « l’avocat a l’obligation de garder secrètes les confidences de son client tant que ce dernier ne lui demande pas de l’exposer pour défendre ses intérêts dans l’action », à l’opposé du texte marocain ( art. 36, D.1993 ) qui ne fait aucune nuance comme s’il confond le secret de l’avocat avec le secret de la confession, ce qui est inexact.

La rédaction de l’article 29 du règlement intérieur du barreau de Rabat est encore plus maladroite puisqu’elle dispose que « L’avocat est débiteur d’une manière absolue du secret professionnel et ne peut remettre à autrui les documents déposés entre ses mains par son mandataire. Il ne peut témoigner ni au profit ni contre ce dernier. L’obligation au secret professionnel pour l’avocat est générale et absolue dans toutes ses activités professionnelles sans distinction et sans exception ». La rédaction de l’aliéna 4 du même article est encore plus vague puisque cet article prévoir que l’avocat qui est invité à témoigner dans une action civile ou pénale a l’obligation d’aviser le bâtonnier ». Soulignons que le cas peut se comprendre s’il s’agit d’un témoignage qui ne concerne ni le client de l’avocat ni l’adversaire de ce dernier et dans une affaire qui n’est pas entre les mains de l’avocat. Mais dès qu’il s’agit de témoigner dans une affaire qui est entre les mains de l’avocat, que ce soit au profit ou contre le mandataire, la jurisprudence et la doctrine sont unanimes pour dire que l’avocat n’a pas la possibilité de dévoiler les confidences du client alors même qu’il s’agit de dévoiler la vérité
.

L’article 31 du code tunisien sur la profession d’avocat dispose « qu’il n’est pas permis à l’avocat de témoigner dans un conflit dont il est mandataire ou dans lequel il a été consultant ». Il en serait autrement s’il s’agit de témoigner non en tant qu’avocat mais en tant que simple témoin dans une affaire dont il n’est pas le défenseur. Mais dans ce cas, il a l’obligation d’aviser le bâtonnier.


La conséquence de l’obligation du secret professionnel est l’inviolabilité des lettres et papiers confiés par le client à l’avocat. Dans un arrêt du 12 mars 1886, la Cour de Cassation française a tranché cette question d’une manière qui ne prête nullement à équivoque. « Attendu – dit la Cour -, que le principe de la libre défense domine la procédure criminelle ; qu’il commande d’affranchir de toute entrave les communications des accusés avec leurs conseils , qu’il est interdit à ces derniers sous les peines portées par l’article 378 du Code pénal, de révéler les secrets qui leur ont été confiés et qu’ils sont même dispensés d’en déposer comme témoins devant les tribunaux ; qu’il suit de là qu’il n’est point permis de saisir dans leur domicile les papiers et lettres missives qu’ils ont reçus de leurs clients et que, par une conséquence nécessaire, il n’est permis de saisir avant qu’elles leur soient parvenues les lettres qui leur sont envoyées puisqu’elles contiennent la communication qui doit être respectée et portent la confidence qui doit être sacrée »[16].

La jurisprudence n’a jamais admis les écarts quant à l’obligation du secret professionnel. Le fait par un avocat d’avoir révélé publiquement des écrits couverts par le secret médical, constitue une faute disciplinaire. La défense des intérêts qui ont été confiés à cet avocat n’est pas une cause justificative du manquement qui lui est reproché. Le secret médical couvre tous les documents relatifs à l’état de santé d’un individu. Le fait par le tribunal correctionnel de ne pas avoir écarté des débats la pièce litigieuse n’a aucune conséquence sur l’action disciplinaire diligentée contre l’avocat » 
[17].
La Cour d’Appel d’Angers a, en date du 4 juin 1983, prononcé une sanction disciplinaire contre un avocat en le condamnant à trois mois de suspension de ses fonction parce qu’il avait failli à l’obligation du secret professionnel [18].
Le Barreau de Paris ( commission de déontologie ) a rappelé que les avocats conseils d’entreprises, qui reçoivent de leurs clients à l’occasion de la clôture des comptes sociaux, un courrier les interrogeant sur l’état des procédures en cours et les risques financiers et les invitant à répondre directement au commissaire aux comptes, ne peuvent adresser ces renseignements sans violer le secret professionnel. L’avocat est tenu de les transmettre au client qui assurera lui-même la divulgation appropriée. Il en est de même quant aux informations qui seraient sollicitées dans le cas d’un audit juridique et fiscal de l’entreprise dont les avocats seraient les conseils [19].

Mais l’avocat n’est pas le seul à être tenu au respect du secret professionnel mais tout le personnel qui travaille avec lui : avocats stagiaires, avocats collaborateurs, secrétaires, coursiers, etc.. Et c’est dans cette optique que l’avocat doit s’entourer de personnes dignes de confiance et doit non seulement les encadrer mais aussi les contrôler. S’il est difficile d’engager la responsabilité pénale de l’avocat en cas de divulgation d’un secret par son personnel, sa responsabilité civile peut toujours être engagée sur la base de la théorie de la responsabilité de l’employeur vis à vis de ses préposés. D’un autre côté, la Cour suprême a dans un arrêt rendu le 6/2/1982 estimé que « la violation du secret professionnel n’est punie que s’il est prouvé qu’elle a eu lieu » et « il n’est nullement suffisant de parler d’une éventuelle violation pour priver une personne ( atteinte de cécité ) d’exercer une profession pour laquelle elle est apte juridiquement » [20].

Une autre question a été posée et à juste titre par Yves April [21] : L’avocat qui est attaqué en responsabilité civile par son client a-t-il le droit de se défendre en produisant des documents normalement protégés par le secret ?. Je m’explique : un client qui se plaint des manquements de son avocat produit souvent comme preuve le double d’une lettre adressée à son conseil ou l’original d’une lettre qu’il a reçu de son avocat. Cela a toujours été admis par la jurisprudence puisque le secret appartient au client qui a tout le loisir de le divulguer ou de le garder. Les droits de la défense autorisent-ils l’avocat à produire des documents secrets pour sa défense ?. La réponse doit être positive mais avec des nuances : limiter les divulgations à de strictes nécessités de la défense pour ne pas gêner le demandeur. April appuie sa thèse analogique sur une jurisprudence concernant la responsabilité médicale pour dire que « Le demandeur à l’action en responsabilité doit considérer qu’en introduisant l’action, il prend le risque de voir divulguer certains détails de sa défense, normalement couverts par le secret professionnel », mais encore faut-il noter que la divulgation de l’avocat ne doit être effectuée qu’à défaut d’autre solution».

Mais April aurait pu s’appuyer sur une disposition du code pénal sur les faits justificatifs qui suppriment l’infraction. L’article 124 du code pénal dispose en effet « qu’il n’y a ni crime, ni délit, ni contravention : 3°) lorsque l’infraction était commandée par la nécessité actuelle de la légitime défense de soi-même ou d’autrui ou d’un bien appartenant à soi-même ou à autrui, pourvu que la défense soit proportionnée à la gravité de l’agression ».

Par ailleurs, je ne m’attarderais pas sur la perquisition chez l’avocat ( art.59 al.4 et art.103 du nouveau code de procédure pénal ) ni sur les écoutes téléphoniques ou autres ( art.108 et s.) car ces thèmes peuvent être traités à part du moment que ce n’est pas l’avocat qui risque d’être à l’origine de la violation du secret professionnel. Je ne m’attarderais pas non plus sur le secret des correspondances entre avocats puisqu’il toujours été considéré comme distinct du secret professionnel puisque le client révèle à son avocat ce qui peut être l’objet d’une transaction avec le défenseur de la partie adverse. La tradition du barreau a toujours considéré que la correspondance entre avocats a un caractère secret sauf s’il est mentionné expressément qu’elle n’est pas secrète. Cette tradition a été reprise par l’article 30 du règlement Intérieur. L’al.3 du même article dispose également que « la correspondance perd dans tous les cas son caractère secret dès qu’il y a accord définitif entre les parties » 
[22].

A contrario, la correspondance qui constitue de simples pourparlers doit rester confidentielle et être rejetée
[23] .

D’autre part, certains auteurs traitent le secret professionnel avec le secret de l’instruction 
[24].

La confusion vient du législateur lui même qui réunit dans le même article ( art. 36 du dahir de 1993 ) le secret professionnel de l’avocat ( al.1 ) avec le secret de l’instruction ( al.2 ) de l’article 15 de l’ancien et du nouveau code de procédure pénale. Certes, le secret de l’instruction pose des problèmes pertinents. Néanmoins, nous pensons qu’il mérite une étude à part et plus approfondie. Nous espérons que le législateur saura faire la différence dans le projet de réforme de la loi en gestation sur la profession d’avocat.


Une autre question se pose avec acuité est celle de savoir si l’Administration fiscale peut procéder à une vérification au sein même du cabinet de l’avocat. Cette question a été soulevée dernièrement à l’occasion d’un avis dit de vérification reçu ( le mois de janvier 2003 ) par certains avocats du Barreau de Rabat. Cet avis informait les intéressés qu’untel se présentera à leur cabinet à partir du 16ème jour suivant la date de réception de l’avis, à 9 heures et ce en vue de procéder à la vérification des déclarations fiscales concernant les exercices non prescrits. L’avis demandait aux avocats concernés de mettre à la disposition du vérificateur, à la date et heure fixées, les documents comptables relatifs à ladite période, notamment les journaux légaux, les pièces justificatives des charges et des produits et tous autres documents dont la teneur est rendue obligatoire par les textes législatifs et réglementaires en vigueur [25].

C’est la première fois dans l’histoire de la profession d’avocat au Maroc que l’administration fiscale tente de percer les secrets des avocats au sein même de leur Cabinet. Il arrivait et il arrive toujours, en France ou ailleurs, que des fonctionnaires du fisc écrivent à des avocats ou à des experts-comptables leur demandant des renseignements relatifs à leurs clients. Le devoir de ces professionnels est évidemment de refuser purement et simplement toute information. Dans ce cas, le fisc n’insiste d’ailleurs jamais 
[26].

Pire encore, il arrive que le fisc s’adresse, non pas à l’avocat, mais au client de celui-ci pour lui réclamer une copie des correspondances échangées avec son avocat ou son expert comptable. Le fisc feint d’oublier la jurisprudence constante qui admet en effet que la correspondance échangée entre un avocat et son client bénéficie toujours du secret professionnel, qu’elle ne peut être invoquée par quiconque, même en justice, et qu’elle ne peut être saisie ni chez l’avocat, ni chez son client, ni même chez un tiers ; lorsqu’elle est saisie, par inadvertance, lors d’une perquisition, elle doit être restituée. Le même raisonnement s’applique à la correspondance de l’expert-comptable, investi du même secret professionnel.


Lorsque le contribuable est confronté à une demande de correspondances ou de notes échangées avec son avocat, il doit fermement refuser d’y satisfaire en invoquant l’illégalité de l’attitude du fisc.


Pire est le ballon d’essai de l’administration fiscale à vouloir fouiner dans la paperasse du cabinet de l’avocat par le biais d’un vérificateur qui peut séjourner chez l’avocat jusqu’à six mois selon les termes de la loi de finances pour les années 1996-97. Le fait d’acquiescer à la demande du fisc constituera sans conteste le délit de l’article 446 du Code Pénal sur la violation du secret professionnel et constituera par la même occasion une faute professionnelle sur la base des article 36 et 12 du dahir du 10 septembre 1993 sur l’organisation de la profession d’avocat et 29 du Règlement Intérieur du Barreau de Rabat. L’avocat qui n’est même pas autorisé à dévoiler la visite d’untel à son cabinet ne peut sûrement pas dévoiler ce que cet untel lui a remis ni à quelle époque. L’avocat est en droit d’opposer le secret professionnel à tous, tant aux magistrats qu’à la Police et aux différentes administrations, y compris l’administration fiscale. Le secret professionnel couvre tous les aspects de la relation entre un client et son avocat. Il s’agit là d’un principe absolu qui ne souffre d’aucune exception quand bien même le client de l’avocat voudrait l’en affranchir ; il appartient à l’avocat de juger de l’opportunité de dévoiler ou non un secret. Le secret n’appartenant pas à l’avocat, il ne saurait en disposer sans commettre une faute professionnelle et un délit correctionnel.


Le séjour d’un agent du fisc au cabinet d’un avocat constitue la pire insulte à l’obligation du secret professionnel et à l’avocat en général. Le titulaire de ce cabinet a intérêt à changer de métier avant la fin de la vérification, car plus aucun client ne se sentirait en sécurité chez lui ni avec lui. Le client de l’avocat lorsqu’il lui confie ses secrets, ses documents c’est parce-qu’il a l’intime conviction que ce cabinet est inviolable. Si cette certitude disparaît et si cette conviction est ébranlée, ce sera la fin de la profession d’avocat avec tout ce que cela comporte comme conséquences sur l’institution judiciaire du pays dont l’image n’est pas très reluisante.


Et c’est dans cet esprit que le Conseil de l’ordre des avocats de Rabat a –et sur la base de cette étude – 
[27] demandé au bâtonnier d’adresser une correspondance à tous les avocats visés par les demandes de vérification leur enjoignant de ne pas permettre aux agents du fisc de consulter les dossiers ou les documents des cabinets et d’adresser par la même occasion une correspondance au ministre des Finances et au directeur des impôts leur expliquant la gravité et l’illégalité de la demande de vérification et le refus du barreau de Rabat de permettre une telle démarche du fisc avec les avocats.

La position du conseil s’est basé non seulement sur les dispositions législatives et réglementaires déjà mentionnées mais aussi sur l’article 56 du dahir du 10 septembre 1993 sur l’organisation de la profession d’avocat qui dispose que c’est le bâtonnier ( ou la juridiction compétente -article 57- ) qui procède personnellement ou par un membre du conseil de l’ordre qu’il délègue à cet effet, à la vérification de la comptabilité des avocats et au contrôle de l’état des dépôts qui leurs sont confiés. Bien plus, même le procureur général ne peut consulter la comptabilité de l’avocat que par le biais du bâtonnier ( art.57, al 2 et 3 ).


Attendu d’autre part que la loi organisant la profession d’avocat est une loi spéciale et par conséquent prime la loi sur les impôts qui est une loi générale, l’avocat est tenu de se conformer aux dispositions des articles 56 et 57 du dahir du 10 septembre 1993 et de ne permettre la consultation de ses livres comptables et les exemplaires de ses quittances qu’au bâtonnier ou au membre du conseil désigné par lui ou à la juridiction compétente lorsqu’elle statue sur toute contestation concernant les honoraires et les frais ou en cas de poursuite disciplinaire ( 2 et 3 ) 
[28].
C’est dans ce sens que le tribunal de première instance de Souk El Arbaa a en date du 4 septembre 1989 rendu un jugement annulant l’avis d’imposition émis contre un avocat pour violation entre autres des article 61 et 62 de la loi du Barreau de 1979 ( actuellement articles 56 et 57 du dahir de 1993 ) [29].

Le tribunal de première instance de Kénitra a également rendu en date du 10/10/1989 un jugement annulant l’imposition en faveur d’un avocat disposant que la loi du Barreau permet à l’avocat de ne donner sa comptabilité qu’à Monsieur le bâtonnier et au Premier Président de la Cour d’Appel sur la base de l’article 61 - dahir 1979 - et des dispositions du Règlement Intérieur de l’ordre 
[30].

Ceci ne veut nullement dire que l’avocat doit tirer profit de ces textes et de cette jurisprudence pour échapper au fisc. En effet, c’est grâce à la fiscalité que le service public existe et les avocats doivent à l’instar des autres citoyens contribuer aux charges publiques de la société.

Certains auteurs ont un point de vue différent et estiment que la comptabilité de l’avocat peut faire l’objet d’une vérification à l’instar de ce qui se passe en France
[31]. Mais ces auteurs oublient que le législateur français est intervenu en 1991 pour permettre une telle vérification [32].

Le législateur marocain est donc appelé à se pencher sur cette question afin de protéger l’avocat contre la levée du secret professionnel en cas de vérification fiscale. Des précautions seront évidemment à prendre dans ce cas tel la non mention du nom du client par exemple sur les livres comptables à vérifier. Mais une solution intermédiaire pour concilier entre l’obligation du secret professionnel et celle de la lutte contre l’évasion fiscale peut être envisagée. C’est l’idée du prélèvement de l’impôt à la source. Cette retenue à la source constitue une modalité de recouvrement de l’impôt et consiste en principe à faire prélever par un tiers payeur au fil des revenus qu’il verse à la personne concernée, l’impôt du au titre de ces mêmes revenus. Contrairement à ce qui se pratique aujourd’hui pour les avocats, la retenue se fera sur les revenus de l’année en cours et non sur ceux de l’année écoulée. Mais si ce mécanisme s’applique aisément aux salariés et aux retraités, sa mise en œuvre pour les avocats ne sera pas aussi simple. Il entraînera des problèmes techniques certes, mais des problèmes qui ont été surmontés par certains pays. La proposition si elle est retenue mérite des études sérieuses et approfondies par les fiscalistes. C’est l’un des buts de cette recherche : ouvrir un débat sur la question.

[1] Khalid Khalès « Le secret médical » Gazette des Tribunaux du Maroc n° 97, novembre-décembre 2002, page 96 à 104.

[2] J.Hamelin et A. Damien in « Les règles de la profession d’avocat », Dalloz, 9ème éd., 2000, p.310.
[3] D’après Abou Houraira, Voir « Ihyae Ouloum Eddine » de l’Imam Ghazali, Tome 3, page 133, Dar Al Maerifa,
1962.
[4] D’après Abou Daoud et Tirmidi.
[5] Piementa Louis, « Le secret professionnel de l’avocat », éd. Pedon, 1937, p.32, Fau « Le secret professionnel de l’avocat », thèse, Toulouse, 1912, p.26 ; Sasserth Simon : « Quelques considérations sur le secret professionnel des magistrats et des avocats »; rapport présenté à l’Union Belge pénal le 15-1-1949, p.31.
[6] Emile Garçon « Code Pénal français annoté » de 1810, note sous art.378.
[7] Delmas Marty : « A propos du secret professionnel », D.1982, chro.p.268 ; Piementa L., op.cit. p.32.
[8] Charmantier A.P., « Le secret professionnel : ses limites et ses abus », 1926, p. 227.
[9] Emile Garçon, op.cit., art.378, n°7.
[10] Pandectes françaises - Secret professionnel, n°21.
[11] Gazette du Palais, 1888, 1, p.129 .
[12] Note 12 non précisée dans le texte : R. Brazier, avocat et ex bâtonnier, « La tradition du Barreau de Bordeaux », 1910, p.157
[13] Rapporté par Damien A. et J.Hamelin, opt. cit, p.342.
[14] Pasicrisie, 1975, II, p.42.
[15] Mohammed Abdeddaher Hanine, « La responsabilité civile de l’avocat », Dar Annahda Al Arabia, 1993, p.144.
[16] D., 86, 1, 345.
[17] Cassation, 29 mars 1978, Gazette du Palais, 1978, 2, Somm.248.
[18] Rapporté par Hamelin et Damien, op.cit. p.313 .
[19] Bulletin du Bâtonnier, 5 avril 1993, p.99.
[20] Les arrêts de la Cour suprême, civil 1966-1982, p.679 ou Jurisprudence de la Cour suprême, n°27, p.3 – voir également« Khalid Khalès « L’accès à la profession d’avocat et le stage » in La Gazette du Palais, n° 6, 2003, p.11 à 25.
[21] Yves April, « La responsabilité de l’avocat », Dalloz 1981, n°137.
[22] Voir dans ce sens un arrêt de la Cour d’appel de rabat du 13 juillet 1943, G.T.M n°1032, 1949, p.155.
[23] Dijon, 10/2/1972, J.C.P, 1972.II.17256, note Lemoine ; rapporté par Damien, op. cit.
p.329.
[24] Hamzaoui Moha, « La responsabilité de l’avocat dans la législation marocaine », Librairie Idéales Maroc, 1994, p. 99.
[25] Plusieurs avocats du barreau de Rabat ont adressé des correspondances au bâtonnier et aux membres du Conseil de l’Ordre demandant des explications sur la possibilité ou non de permettre aux vérificateurs de l’administration fiscale de compulser leurs livres comptables, leurs registres et les dossiers de la clientèle.
[26] Lettre d’information juridique, juin 1996, Idefisc.
[27] En date du 10/2/2003 le conseil de l’ordre du barreau de Rabat a adopté le contenu de cette étude et a décidé ce qui suit :
• Interdiction formelle aux avocats objet des demandes de vérification de permettre aux agents du fisc de consulter les dossiers et les documents du cabinet.
• Adresser des correspondances au ministère des finances et à la direction des impôts leur expliquant la gravité et l’illégalité de la vérification ( voir lettre circulaire du bâtonnier de Rabat n° 10/2003 datée du 17/2/2003 ).
N.B : En date du 15/2/2003, la question a été débattue au cours de la réunion de l’Association des Barreaux du Maroc.
[28] Khalid Khalès « Les honoraires de l’avocat », G.T.M n°96, 2002, p. 85 à 105 ou Gazette du Palais n° 5, 2003, p. 11 et s. .
[29] Al Ichaa, n° 2, 1989, p. 130– voir aussi jugement du même tribunal rendu en date du 6 février 1989, Majallat Annadwa, n°7, p. 49 avec le commentaire du bâtonnier Mustapha Raissouni, p 55 ou Gazette des tribunaux du Maroc, n°58, p.99.
[30] Al Ichaa, n° 2, 1989, p.127.
[31] ………………………….
[22] Article 234 du décret du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat en France.

 

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Commentaires
R
Il va surement falloir que tu débourses une somme astronomique, l'état adore profiter de l'argent des arrivants.
L
Bonjour et merci pour ce billet très instructif. Il est rare de trouver au Maroc des articles qui font autre chose que bénir le système. <br /> J'aurais aimé en revanche savoir quelle était la procédure pour un marocain inscrit au barreau de Paris (et ayant effectué tout son cursus juridique en France) pour obtenir l'équivalence lui permettant d'exercer le métier d'avocat es qualité. Pouvez-vous m'éclairer sur l'éventuelle nécessité d'un examen, de la nature d'un tel examen s'il en existe un, de la langue dans laquelle l'examen se déroulera...<br /> Vous en remarciant,
Blog juridique Marocain
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